Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2022 de Politique étrangère (n° 4/2022).
Hans Stark propose une analyse de l’ouvrage de Liana Fix, Germany’s Role in European Russia Policy.
A New German Power? (Palgrave Macmillan, 2021, 246 pages).

Couverture du livre "Germany’s Role in European Russia Policy. A New German Power?" de Liana Fix, photo du dôme du Bundestag allemand (assemblée parlementaire) illuminé de nuit.
Image de fond : gros plan sur le dôme du Bundestag de jour, personnes visibles à travers les baies, drapeaux de l'Allemagne flottant sur le bâtiment.

Paru avant l’intervention russe en Ukraine, cet ouvrage traite à la fois du concept de puissance dans la politique étrangère de l’Allemagne et des relations germano-russes. L’analyse magistrale montre à quel point les concepts de « responsabilité » et de « leadership » appliqués à la politique étrangère de la République fédérale se sont pour l’essentiel, voire quasi exclusivement, concentrés sur un effort de transformation du régime russe en système libéral compatible avec les démocraties occidentales via une « Ostpolitik bis » du « changement par le commerce » (Wandel durch Handel). Pour Liana Fix, cette stratégie a échoué avec la première guerre russo-ukrainienne de 2014-2015 et l’annexion de la Crimée.

Pour analyser cet échec, décrit ici de façon détaillée, mesurée et objective, l’auteur se concentre sur quatre cas : la position de Berlin durant la guerre russo-géorgienne de 2008 ; son rôle dans l’élaboration du « partenariat pour la modernisation » entre l’UE et la Russie de 2010 ; l’initiative germano-russe de Meseberg en 2010 ; enfin l’action du gouvernement allemand pendant la guerre russo-ukrainienne de 2014-2015.

L’intervention russe en Géorgie n’a pas été interprétée par les responsables allemands comme l’expression d’une volonté de Moscou de réviser les frontières post-soviétiques par la force, mais comme une réponse à des provocations maladroites du président géorgien d’alors, enhardi par des promesses intenables des autorités américaines. Pour Berlin, l’affaire géorgienne ne conduit pas à sanctionner la Russie ; au contraire, l’Allemagne juge nécessaire de renforcer le dialogue avec Moscou. Elle se fait l’avocat du « partenariat pour la modernisation » entre l’UE et Moscou qui naît en 2010 – alors que parallèlement l’Union européenne (UE) intensifie ses relations avec l’espace post-soviétique à travers le « partenariat oriental », initié à la demande de la Pologne et de la Suède. Pour Berlin, les deux partenariats ne sont pas antinomiques, alors qu’ils le sont pour Moscou.

Par ailleurs, l’Allemagne méconnaît les réalités internes russes et surestime la marge de manœuvre de Medvedev durant sa présidence entre 2008 et 2012. Le « partenariat pour la modernisation » va donc s’enliser, tout comme l’initiative Merkel-Medvedev dite de Meseberg, qui visait à créer un comité politique et de sécurité UE-Russie au niveau ministériel, et à relancer les négociations entre Bruxelles et Moscou pour surmonter le « conflit gelé » de Transnistrie. Liana Fix souligne que les efforts allemands (et français) de dialogue, de médiation et d’arrimage de la Russie à l’UE échoueront après le trucage des législatives russes de 2011, la répression des manifestations et la limitation des libertés qui s’ensuivent, puis le retour à la présidence de Vladimir Poutine en 2012.

L’Allemagne (avec la France comme partenaire junior, selon Fix) va de nouveau jouer un rôle de premier plan dans les négociations Minsk I et II, après l’annexion de la Crimée en 2014. Mais l’approche allemande restera contradictoire et inconséquente : Berlin approuvera le vote de sanctions contre la Russie, tout en s’engageant dans un partenariat énergétique renforcé avec le Kremlin via Nord Stream 2. Minsk I et II ne constituent ainsi que le prélude à l’« opération militaire spéciale » lancée par Poutine sept ans plus tard.

Hans Stark

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