Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). Héloïse Fayet propose une analyse de l’ouvrage de Vipin Narang et Scott D. Sagan (dir.), The Fragile Balance of Terror: Deterrence in the New Nuclear Age (Cornell University Press, 2023, 270 pages).

Photographie de fond : panneau de signalisation nucléaire dans un champ (Kilian Karger/Unsplash). Au premier plan, couverture de l'ouvrage The Fragile Balance of Terror: Deterrence in the New Nuclear Age, tons bleutés sombres, nuages traversés d'éclaircies.

Agitation de la menace nucléaire par Vladimir Poutine, accroissement de l’arsenal nucléaire chinois ou perfectionnements balistiques nord-coréens : la stabilité stratégique à laquelle les décideurs étaient habitués depuis la fin de la guerre froide s’érode.

Tel est le constat que Vipin Narang, ancien chercheur au MIT et désormais sous-secrétaire adjoint à la Défense pour la politique spatiale, et Scott D. Sagan, chercheur à l’université de Stanford, posent ici avec les contributions d’une dizaine d’experts et de chercheurs.

Les quatre premiers chapitres dressent le paysage des nouvelles menaces. Caitlin Talmadge s’intéresse à la dissuasion multipolaire, dilemme auquel les États-Unis doivent faire face en raison de la montée en puissance de la Chine, avec laquelle ils n’entretiennent pas la même relation – tendue mais nourrie d’échanges et de mécanismes de contrôle – qu’avec la Russie. Le scénario d’une escalade involontaire est d’ailleurs crédibilisé par l’importance croissante des réseaux sociaux et leur utilisation parfois débridée par les décideurs, comme l’exposent Vipin Narang et Heather Williams. Il est ainsi plus que jamais nécessaire de sécuriser certains canaux de discussion, même avec des États avec lesquels les relations sont difficiles. C’est notamment le cas de la Corée du Nord, où la personnalité pathologique du leader pose de nouveaux dilemmes en termes de dissuasion, présentés par Rose McDermott. Enfin, Amy Zegart explore l’impact de la source ouverte sur la lutte contre la prolifération et la dissuasion, sociétés privées et amateurs pouvant tout autant être utiles à leurs gouvernements que les desservir.

La seconde partie s’attarde sur les conséquences de ce nouvel âge nucléaire sur les concepts et stratégies développés pendant la guerre froide. Jeffrey Lewis et Ankit Panda se posent ainsi la question de la suffisance des arsenaux, en s’attachant aux cas indien, pakistanais et nord-coréen, où la perception des gouvernements locaux de leur propre environnement stratégique prévaut sur l’idée que peuvent en avoir les pays occidentaux. Dans la même veine, Christopher Clary s’interroge sur la pertinence de la « contre-force », face à des dyades nucléaires de plus en plus variées et l’émergence de nouvelles technologies comme les armes hypersoniques. Les normes et pratiques de command & control sont aussi susceptibles d’être remises en cause par ces évolutions technologiques et l’aggravation de la menace, postulent Giles David Arceneaux et Peter D. Feaver. Enfin, Mark S. Bell et Nicholas L. Miller critiquent le concept de nuclear learning, très en vogue durant la guerre froide, et qui postulait que les nouveaux États nucléaires évolueraient vers une pratique plus responsable, ce qui ne semble pas être le cas avec la Corée du Nord, le Pakistan ou même la Chine.

Si la conclusion de l’ouvrage est sombre, voire pessimiste, on pourra cependant se réjouir de l’émergence d’une nouvelle génération de chercheurs et stratégistes sur les questions nucléaires, et d’une actualisation tout à fait pertinente des dilemmes de la guerre froide. Très complet, s’intéressant à des problématiques connues comme plus confidentielles, The Fragile Balance of Terror a également le mérite de proposer des pistes de réflexion et des solutions concrètes. On peut néanmoins regretter un point de vue très américano-centré, tous les auteurs étant anglo-saxons.

Héloïse Fayet

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