Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). Vladimir Pol propose une analyse de l’ouvrage de Gérard Araud, Histoires diplomatiques : Leçons d’hier pour le monde d’aujourd’hui (Grasset, 2022, 320 pages).

Photographie d'arrière-plan par Anthony Choren (Unsplash) représentant le drapeau tricolore de la France. Au premier plan, couverture du luvre de Gérard Araud, liseret rouge et fond blanc.

À l’heure du retour de la guerre de haute intensité en Europe, le dernier livre de Gérard Araud entend tirer les leçons des grandes péripéties diplomatiques auxquelles la France a été mêlée depuis un peu plus de trois siècles. Ces exemples doivent permettre au pays de mieux guider sa politique extérieure présente et à venir.

En introduction, l’ancien ambassadeur en Israël, aux États-Unis, et représentant permanent de la France aux Nations unies, fait le constat de la coupable ingénuité d’une Europe considérant que « la guerre n’était plus qu’un archaïsme ». L’agression russe de l’Ukraine, pour tragique qu’elle soit, pourrait en fin de compte sonner le réveil de l’Europe face au retour des politiques de puissance. C’est une ambition que porte tout le livre : un « réarmement intellectuel » pour nous « préparer à l’imprévu ».

De la succession de la Couronne espagnole vers 1700 à l’invasion de l’Irak par les États-Unis et leurs « supplétifs » en 2003, l’histoire martèle qu’en matière de politique étrangère les passions mènent trop souvent au désastre et compliquent singulièrement la tâche du diplomate. À travers dix événements emblématiques sont examinées la position des principaux acteurs, les conséquences qui en découlent et les leçons qui en ressortent. Le congrès de Vienne, par exemple, illustre la confusion entre politique étrangère et diplomatie, et la marche vers la Seconde Guerre mondiale révèle la solitude soudaine du pays agressé.

Mais, comme l’annonce le titre, les dix chapitres ont également pour fonction d’éclairer le monde contemporain. Ainsi la paix d’Amiens (1802-1803) renvoie-t‑elle à l’accord lacunaire du Brexit, et la débandade franco-britannique de Suez (1956) rappelle combien « les diplomates ne font pas le poids devant les képis », à l’image d’un engagement français au Mali dont la séquence vient de s’achever. Autant d’épisodes qui permettent à Gérard Araud d’évoquer des débats très actuels, comme le statut des fonctionnaires du Quai d’Orsay, mais aussi le concept d’autonomie stratégique européenne, le champ d’action de l’OTAN ou encore les sanctions contre la Russie, « panacée des démocraties qui n’ont ni les moyens militaires de leurs bonnes intentions, ni la moindre volonté d’y recourir ».

Sonder et analyser le passé pour bâtir l’avenir ? La méthode rappelle celle de Henry Kissinger, l’ancien secrétaire d’État américain à qui l’auteur a consacré son précédent livre, et dont la figure tutélaire est omniprésente, de l’introduction à la conclusion de ce volume.

En fin d’ouvrage, le lecteur est invité à mesurer, à l’aune des faits exposés, combien l’art délicat de la diplomatie internationale est le jouet de l’hubris des hommes politiques, trop souvent guidés par leurs émotions et les préjugés. À ce piège, l’auteur oppose une vision réaliste classique, qui consiste à défendre les intérêts du pays en fonction du rapport des forces avec les acteurs en présence : « le bon droit ne suffit pas ; les gros bataillons importent plus ». Gérard Araud insiste cependant sur sa vision non belliqueuse des relations internationales : sauf cas exceptionnels, réalisme doit rimer avec pacifisme. Or cela suppose prudence et empathie, car « le monde ne rêve pas de devenir une Union européenne globale ».

Vladimir Pol

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