Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). Guilhem Penent propose une analyse de l’ouvrage de Bleddyn E. Bowen, Original Sin: Power, Technology and War in Outer Space (Hurst, 2022, 344 pages).

Photographie d'arrière-plan par la NASA représentant une navette spatiale dans l'espace. Au premier plan, couverture du livre de Bleddyn E. Bowen.

Avec ce second ouvrage, Bleddyn Bowen confirme être un théoricien et expert de premier plan sur les questions de politiques spatiales. Revenant en détail sur « soixante-dix ans d’âge spatial global et militarisé », l’auteur du déjà remarqué War in Space, en 2020, propose un récit critique, cohérent et convaincant des origines de la « puissance spatiale » (spacepower) jusqu’à sa maturité. Il surprend par sa capacité à s’approprier des sujets anciens et connus en les présentant sous un angle nouveau et stimulant.

Trois grands thèmes – ou malentendus – sont identifiés et explorés. Tout d’abord, l’espace « n’a pas été développé pour l’intérêt commun de l’humanité tout entière ». Il n’est pas spécial, particulièrement propice à la coopération internationale ou immunisé contre le risque de conflit, mais constitue bien un milieu comme les autres. Utilisé d’abord et surtout pour faire la guerre – y compris nucléaire –, il est investi par une myriade d’intérêts politiques, économiques et idéologiques. Cet héritage tragique – ce « péché originel » –, que l’emphase mise sur l’exploration, la science ou encore la « part du rêve » tend à occulter, est là pour rester.

Ensuite, l’âge spatial dans lequel nous vivons depuis 1957 est global. Il n’est pas un luxe à la portée des seules grandes puissances du moment, mais une nécessité « normalisée » reflétant intérêts et ambitions de nombreux acteurs, attirés par les retombées multiples des satellites. Ce qui explique que « le péché originel […] ne colore pas seulement les rêves des Américains et des Russes dans l’espace, mais de toutes les puissances spatiales majeures du xxie siècle ».

Enfin, l’espace est devenu à ce point essentiel à la sécurité, à la prospérité, à l’économie de nos sociétés qu’il constitue aujourd’hui un facteur différenciateur de puissance, et donc une cible de choix. Cette réalité, qui s’inscrit dans le droit fil du « péché originel », doit être assumée pour ce qu’elle est : c’est bien la dépendance sans cesse croissante vis-à-vis de l’espace qui est la cause de l’instabilité actuelle et non l’« arsenalisation de l’espace », objet de dénonciations croisées quand elle n’est qu’un symptôme.

Cette dernière réflexion, la plus riche et stimulante, prolonge les travaux de l’auteur entamés dans le cadre de son travail doctoral sur l’espace comme « littoral cosmique » défini par sa relation avec la Terre. Elle renvoie dos à dos les effets de posture diplomatique sur la prévention d’une course aux armements dans l’espace et les amateurs d’analogies guerrières mais bancales comme le « point haut ultime ». Original Sin réussit ce faisant l’exploit d’apporter un bol d’air frais à une communauté experte habituée à fonctionner en vase clos ressassant des postures réductionnistes, tout en bousculant une communauté universitaire ou scientifique dont le refus de pertinence politique ancré dans un solide idéalisme est trop souvent synonyme de déconnexion avec les enjeux qu’elle prétend décrire, expliquer et comprendre. L’ouvrage n’est certes pas toujours facile d’accès et quelques longueurs pourront avoir raison du lecteur non averti ou peu motivé. Alors que les évolutions du contexte stratégique plaident pour une urgente compréhension des dynamiques de puissance à l’œuvre dans l’espace, il n’en constitue pas moins un guide indispensable, pour les chercheurs comme les praticiens.

Guilhem Penent

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