Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). Pierre-Frédéric Weber propose une analyse de l’ouvrage de Kinga Torbicka (dir.), L’Europe Centrale face à la pandémie de Covid-19. De la transformation anthropologique vers la recomposition géopolitique (WUW [Éditions de l’université de Varsovie], 2022, 232 pages).

Illustration d'arrière-plan par Fusion Medical Animation représentant un microbe en macro. Au premier plan, couverture du livre "L’Europe Centrale face à la pandémie de Covid-19. De la transformation anthropologique vers la recomposition géopolitique".

À peine éteints les derniers feux et contre-feux de la pandémie de Covid-19, on voit paraître des travaux de recherche visant à analyser les choix politiques et économiques des acteurs étatiques, ainsi que les impacts multiformes de cette première crise sanitaire mondiale du xxie siècle. L’équipe de recherche en sciences humaines et sociales du Centre de civilisation française et d’études francophones de l’université de Varsovie livre ici un volume ambitieux et réussi, intégralement disponible sur Internet. Cet ouvrage propose un regard pluriel sur la macro-région d’Europe centrale, étudiée sous l’angle des changements imposés par la pandémie et des choix stratégiques de ses élites politiques.

Le livre s’articule en deux parties qui apportent des réponses à la double problématique évoquée dans son sous-titre. Ainsi, les auteurs des six premiers chapitres regroupés dans la première partie s’interrogent-ils d’abord sur les effets sociaux et sociétaux de la crise pandémique en Europe centrale. Les cas étudiés abordent tant la dimension médiatique et culturelle de la transformation enclenchée par le Covid-19, que ses implications discursives dans les tensions observées entre l’opinion publique et la parole scientifique. La seconde partie, plus longue, comporte neuf chapitres axés sur la redéfinition des politiques étrangères des États d’Europe centrale dans leurs rapports bilatéraux et multilatéraux – en particulier au sein du groupe de Visegrad. Les nombreuses références au cas polonais sont justifiées par le poids économique croissant de la Pologne dans la région, mais également par son ambition à devenir le leader des États d’Europe centrale, dans un contexte où, paradoxalement, le gouvernement de Varsovie tend à se démarquer de la ligne politique des États moteurs de l’Union européenne (la France et l’Allemagne), au risque d’un certain isolement. Les études consacrées à la Hongrie ou encore à la République tchèque viennent toutefois compléter le tableau, ce qui permet des analyses croisées éclairantes.

Dans leur ensemble, les contributions ne constituent pas seulement un premier bilan des effets directs de la pandémie dans la macro-région d’Europe centrale. Elles donnent également – et c’est là leur qualité indéniable – un aperçu des possibles évolutions politiques et de leurs effets potentiels sur l’Union européenne et sa politique de voisinage, alors que la Russie continue de remettre visiblement en question l’ordre territorial et géopolitique du continent. À ce titre, le rôle des mouvements populistes, le rapport à la démocratie libérale en Pologne et plus encore en Hongrie, les formes existantes ou envisagées de coopération régionale renforcée (Visegrad, Trois Mers et autres) – notamment pour ce qui est d’enjeux tels que l’innovation et la réindustrialisation – ont subi sous l’effet de la pandémie une redéfinition plus ou moins marquée. Enfin, le risque croissant d’avoir à gérer demain de nouvelles pandémies rend de plus en plus pressante la réflexion collective sur la « géopolitique de la vaccination » – sans aucun doute l’un des nouveaux défis du xxie siècle.

Pierre-Frédéric Weber

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