Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). Alexandre Pamart propose une analyse de l’ouvrage de Mathilde Andreis, La disparition de l’eau en Irak. Aux sources d’une crise avec l’Iran et les pays voisins (L’Harmattan, 2022, 156 pages).

Arrière-plan : photographie de la NASA représentant un cours d'eau en Irak. Couverture du livre de Mathilde Andreis au premier plan.

La disparition de l’eau en Irak est constatée depuis plusieurs décennies. L’Irak se superpose pourtant en partie à l’ancien territoire de la Mésopotamie, région entre les fleuves Tigre et Euphrate, berceau de la civilisation de Sumer. La communauté internationale accorde une grande importance à l’environnement, mais l’Irak est peu abordé sous cet angle. Le pays a vécu quatre événements successifs qualifiés d’« accidents » avec un impact sur la situation hydrique : la guerre Iran-Irak, la première guerre du Golfe et les embargos économiques, la deuxième guerre du Golfe, enfin la prise de Mossoul par Daech.

L’auteur aborde la complexité de la relation qu’entretient l’Irak avec l’eau, qui se résume de nos jours à un stress hydrique quotidien pour la société. En 2017, l’eau potable n’est accessible qu’à 93 % des citadins et 70 % des résidents à la campagne. L’alimentation en eau est limitée à quelques heures quotidiennes par le gouvernement. Le secteur est touché par la corruption et, pour se voir garantir un approvisionnement, les Irakiens doivent payer un fonctionnaire, stocker de l’eau, ou faire appel à des entreprises privées. D’où une fracture sociale supplémentaire sur l’accès à l’eau.

Saddam Hussein a inscrit la politique de gestion de l’eau dans le cadre de la stratégie du parti Baas irakien. L’objectif était multiple : dévier l’eau, la retenir, ou encore y associer des centrales hydroélectriques. Le but était aussi de renvoyer une image de grandeur via ces constructions, pour impressionner les pays voisins. Le désenchantement s’observe aujourd’hui pour des infrastructures vétustes, peu efficaces pour produire de l’électricité, avec un réel risque d’effondrement pour certaines. L’agriculture, secteur naturellement tributaire de l’eau, est parmi les premières victimes des aléas hydriques. Les dépenses de l’État ont toujours été plus orientées vers le pétrole et la défense, marquant le passage d’une économie agricole à une économie pétrolière, au détriment de l’environnement.

Les politiques hydriques des voisins sont aussi responsables de la disparition de l’eau. Les infrastructures construites en Turquie dans le cadre du programme GAP (grand projet de barrages en Anatolie du Sud-Est) ont à la fois altéré la qualité de l’eau et diminué la quantité disponible en Irak.

Le Tigre est rejoint par cinq affluents iraniens, dont certains sont essentiels pour l’équilibre environnemental de la région du Chott-el-Arab. Traversant Bassorah, le fleuve débouche sur le Golfe. La salinité des eaux a fortement augmenté du fait de la construction de barrages en Iran, et les conflits ont aussi entraîné une pollution chimique du Chott-el-Arab. Plus généralement, la pollution de l’eau a été une stratégie de guerre de Daech (région de Tikrit, en 2004, en y versant du pétrole).

Pour ralentir la migration climatique qui a déjà débuté, plusieurs solutions sont proposées. À l’échelle locale : introduction de mesures agricoles durables et fin des puits privés. Au niveau national : des méthodes d’irrigation plus économes en eau, avec notamment l’irrigation par aspersion. Au niveau international, des chercheurs proposent une gestion commune des deux fleuves via la création d’un organisme régional sous l’égide des Nations unies. Cette dernière solution supposerait de dépasser les rivalités politiques régionales.

Alexandre Pamart

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