Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). François Gaulme propose une analyse de l’ouvrage de Fred Constant, Géopolitique des Outre–Mer. Entre déclassement et (re)valorisation (Le Cavalier Bleu, 2023, 208 pages).
Après la Géopolitique des îles de Marie Redon en 2019, les éditions Le Cavalier Bleu publient dans la même collection de petits ouvrages synthétiques sur la « géopolitique » un livre recoupant en partie la problématique des territoires insulaires dans le monde. Le politologue Fred Constant, professeur à l’université des Antilles, aborde ce thème, qu’il qualifie avec justesse d’« angle mort de la géopolitique où ils n’apparaissent que furtivement », avec quelque 80 territoires de tailles et de situations géographiques très variables, du Groenland à l’île de Pâques. Ils possèdent le caractère commun d’être des « outre-mer », aux institutions et aux statuts très divers, mais à la souveraineté toujours partielle et dépendant sur des modes divers d’une métropole ou d’une fédération plus ou moins lointaine. Ce que certains contesteront : l’auteur va jusqu’à intégrer dans cet ensemble le 51e État américain, Hawaï, aussi bien que Hong Kong pour la Chine.
Particulièrement au fait de la situation et des enjeux des Caraïbes mais sans oublier le Pacifique et en actualisant son analyse jusqu’à la présidence d’Emmanuel Macron, Fred Constant entend procéder à une « géopolitique comparée » des outre-mer français, des autres pays européens et du reste du monde (Chili comme Russie ou Japon).
La tâche n’est pas aisée car, malgré la parfaite concordance sémantique du français « outre-mer » et de l’anglais overseas, les appréhensions britannique et française de la projection nationale dans ces pays et leurs eaux territoriales n’ont rien de similaire, ni politiquement ni économiquement, et surtout culturellement. La départementalisation des Antilles françaises est présentée ici comme une « forme inédite de décolonisation par intégration », ce qui n’a guère de sens pour un Royaume-Uni ayant abandonné historiquement ses petits territoires du Pacifique (sauf Pitcairn) à des dominions, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui ont une pleine souveraineté internationale terrestre et maritime. Comme le souligne Fred Constant, tout se joue pour eux dans le Commonwealth, cadre plus large et plus rassembleur que celui des minuscules British Overseas. Après le Brexit, il parle même de leur « régression » car ceux-ci ont « perdu leur statut de territoires associés à l’Union européenne » tout en étant (sauf Gibraltar) victimes d’une « invisibilité » dans le débat intérieur au Royaume-Uni.
La simple qualité d’« outre-mer » ne suffit donc pas en tant que telle pour situer ces territoires dans une problématique et une échelle communes, tout particulièrement en termes de déploiement sécuritaire. Les États-Unis à Hawaï et les départements français de la Réunion n’ont pas, à l’évidence, d’implantation militaire à projection régionale, ni de position géo-stratégique, comparables.
La conclusion, qui aborde la place des outre-mer dans la mondialisation en affirmant qu’ils y fournissent toujours des « leviers de puissance » mais pointe également une « dépréciation relative des territoires de la façade atlantique » par rapport à ceux de la « zone indopacifique », confirme, quant à l’analyse du lien de ces territoires avec leurs métropoles, la vision spécifiquement française d’un livre stimulant sur un sujet délicat et rarement traité avec ce souci de synthèse élégante.
François Gaulme
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