Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). Jean-Louis Lozier propose une analyse de l’ouvrage de Gregory B. Poling, On Dangerous GroundAmerica’s Century in the South China Sea (Oxford University Press, 2022, 336 pages).

Photographie d'arrière-plan par Maxim Berg représentant la mer avec un bateau de marchandises dans le fond. Au premier plan, couverture du livre "On Dangerous Ground, America's Century in the South China Sea" représentant une mer agitée avec plusieurs bateaux.

La mention « Zone mal hydrographiée, dangers » a longtemps figuré sur les cartes marines de la mer de Chine méridionale (MDCM). Ce sont d’ailleurs ces incertitudes géographiques qui sont à l’origine de l’invention, par un géographe chinois en 1936, de la ligne en neuf traits, permettant dans un premier temps à la Chine de réclamer la possession de la totalité des îles contenues à l’intérieur puis, depuis 1998, de l’ensemble de la zone, mer et fonds marins inclus, au titre de droits historiques.

Aujourd’hui, il n’y a plus de danger pour la navigation, mais un danger lié aux tensions géopolitiques et à leur éventuelle escalade. Avec la rapide montée en puissance des marines de la Chine (marine de l’Armée populaire de libération, garde-côtes, milices), les tensions, avec les pays riverains mais aussi les États-Unis, sont en effet désormais quotidiennes. Le livre de G. Poling nous permet de comprendre comment la MDCM est devenue un des nouveaux points chauds de la guerre froide entre États-Unis et Chine. Il le fait en étudiant trois récits convergents : celui de l’origine des disputes territoriales et maritimes entre États riverains ; celui de l’attachement des États-Unis à la liberté des mers et de ses relations avec le droit de la mer ; enfin celui de l’histoire des alliances américaines dans la région, en particulier avec les Philippines.

La politique américaine a toujours favorisé le principe de liberté des mers – notamment à l’occasion des discussions conduisant à l’adoption de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) –, appuyant ce principe par la conduite d’opérations de liberté de navigation dès 1979, réalisées maintenant de manière régulière en MDCM. La politique d’alliance américaine a subi de nombreux à-coups, comme la perte de l’allié sud-vietnamien mais aussi les évolutions de la politique philippine, notamment sous la présidence de Duterte. L’étude de ces deux politiques américaines en MDCM dans les cinquante dernières années révèle cependant une conduite réactive et erratique, marquant l’absence de stratégie de long terme.

La politique chinoise a quant à elle été marquée par un engagement graduel mais volontaire, méthodique et incluant une vision de long terme. Cet engagement a commencé dès 1974, avec une bataille contre les Sud-Vietnamiens dans les îles Paracels, et s’est poursuivi par l’installation sur des récifs dans l’archipel des Spratleys – ensuite transformés en véritables bases aéronavales –, et des incidents de plus en plus fréquents avec des navires des États riverains, en particulier philippins aux abords des îles Scarborough, mais aussi avec des unités américaines. Le volontarisme chinois s’est affirmé depuis 2016. La Chine a ainsi refusé de se conformer à la décision du Tribunal arbitral international prévu par la CNUDM qui a donné raison aux Philippines dans le litige les opposant en MDCM. L’absence de coûts significatifs sur la scène mondiale après ce refus de respecter une convention pourtant très largement respectée ne peut qu’inciter la Chine à remettre en cause, dans les années à venir, d’autres normes internationales.

Avec les problématiques de préservation de la biodiversité, largement dégradée par la surpêche en MDCM, faire obstacle aux ambitions de la Chine est bien l’enjeu majeur qui se joue dans cette zone, un enjeu remarquablement décrit par G. Poling.

Jean-Louis Lozier

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