Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). Stéphan Samaran propose une analyse de l’ouvrage de Pierre Santoni, Guerres infiniesAspects militaires des guerres irrégulières (Éditions Pierre de Taillac, 2022, 426 pages).

Photographie de fond par Israel Palacio représentant des casques militaires. Au premier plan, couverture du livre "Guerres infinies. Aspects militaires des guerres irrégulières" de Pierre Santoni.

C’est un panorama très complet des guerres non interétatiques, du xxe siècle à nos jours, que nous présente Pierre Santoni. Fort d’une riche expérience opérationnelle, réputé pour ses études tactiques et doctrinales, il fait ici œuvre d’historien, passant en revue les formes dites « irrégulières » de la conflictualité : guerres civiles, révolutionnaires, de partisans, de libération, guérilla urbaine, cyberguerre.

Au-delà des aspects militaires – recrutement, formation, équipement des parties en présence –, il analyse le rôle des facteurs sociologiques, notamment ethniques et religieux, dans la genèse de ces conflits, leur déroulement et leur éventuelle issue.

L’auteur nous rafraîchit la mémoire, nous instruisant sur des conflits oubliés ou peu connus du lecteur français, anciens ou lointains. On redécouvre ainsi la guerre de libération du Bangladesh (1971), ou les quatre guerres de l’Eelam qui ont déchiré le Sri Lanka entre 1973 et 2009.

La question cruciale pour les états-majors, à savoir « comment une armée régulière s’adapte-t‑elle à une guerre irrégulière ? », a inspiré les théoriciens de la contre-insurrection. Tous les modes d’action sont ici passés en revue : emploi de petites unités mobiles, quadrillage ou cloisonnement du terrain, contact à garder avec les populations afin de « gagner les cœurs », etc. Ainsi naissent de véritables doctrines comme l’action intégrale, développée par les autorités colombiennes dans leur lutte contre les FARC et adaptée par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord dans sa comprehensive approach (approche globale), qui entend prendre en compte tous les aspects militaires et non militaires d’une crise.

Le dénominateur commun de toutes ces guerres irrégulières, indépendamment de leur durée et des effectifs engagés, est la violence sans limites – y compris les crimes avant, pendant et après les batailles. Cette violence, indissociable du choc cinétique de l’affrontement, et qui produit souvent des dommages collatéraux, peut également s’exercer dans des opérations psychologiques pour terroriser l’adversaire ou diffuser une propagande. C’est aussi ce type d’opérations qui s’emploie en riposte, même au regard de l’hybridité d’une force adverse constituée de combattants mais aussi de criminels de droit commun, de groupes mafieux et de fanatiques politiques ou religieux.

L’auteur souligne que l’utilisation de certains matériels (véhicules, aéronefs, embarcations rapides) a pu influer sur le rapport de force en manœuvrabilité ou en puissance de feu, sans pour autant s’avérer toujours déterminante. Le vainqueur d’une guerre n’est en effet pas toujours celui qui l’emporte sur le terrain, comme l’ont montré les guerres de décolonisation de la France ou du Portugal.

Quelle que soit l’issue de ces conflits, ils demeurent l’affaire des combattants et de leur chef sur le terrain, seigneur de guerre comme Ahmad Shah Massoud ou personnage légendaire comme le fantasque baron balte Ungern-Sternberg contre les bolcheviques, ou Lawrence d’Arabie contre les Ottomans. Il s’agit toujours d’un chef clairvoyant au charisme puissant, parfois sous-officier ou général, souvent lieutenant ou capitaine. L’auteur en cite pour chaque conflit, laissant transparaître une discrète admiration pour certains d’entre eux.

Qui gagne dans une guerre irrégulière ? Pierre Santoni nous livre sa réponse : celui pour qui l’enjeu est existentiel.

Pierre Santoni

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