Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). François Gaulme propose une analyse de l’ouvrage de Kelechi A. Kalu et George Klay Kieh, Jr (dir.), Civil Wars in Africa (Lexington Books, 2022, 358 pages).

Photographie d'arrière-plan par Pawel Janiak (Unsplash) en noir et blanc d'un soldat qui porte un fusil. Au premier plan, couverture du livre "Civil Wars in Africa".

L’Afrique post-coloniale est devenue un continent de guerres civiles, consécutives aux déceptions engendrées par les indépendances dès la première génération de leaders africains, qui trouvent de profondes racines dans la période coloniale et les errements d’un pouvoir extérieur intrinsèquement empreint de violence et de manipulation ethnique. Telle est la thèse présentée ici dans une série de monographies-pays par des chercheurs africains. Leurs contributions individuelles ont été cordonnées, et enveloppées d’une introduction théorique et d’une conclusion synthétique sur les leçons à tirer des analyses de cas, par deux politologues africanistes américains, dont le second enseigne aussi au Liberia – pays qui fut victime à la fin du XXe siècle d’une guerre particulièrement cruelle.

Le livre est riche de données empiriques et de réflexions théoriques sur les guerres civiles qui se sont multipliées au sud du Sahara après la fin de la tension Est-Ouest. Les sources bibliographiques, très détaillées, sont anglophones sauf pour le chapitre sur le Rwanda, qui met en valeur à son sujet une rivalité franco-anglaise, y compris linguistique. Sont ainsi discutées dans le chapitre 1, rédigé par le professeur Kelechi A. Kalu, des théories un peu oubliées aujourd’hui, sur les « nouvelles guerres » (new wars), ou les analyses économicistes du britannique Paul Collier, pour mettre en avant le concept de modified structural realism élaboré en 1985 par l’américain Stephen Krasner – qui permet de prendre en compte, à la différence d’un positionnement réaliste classique, les interactions entre l’Afrique et des puissances extérieures comme la France ou les États-Unis.

Les études de cas, très inégales en longueur et en qualité, sont loin d’être exhaustives géographiquement et thématiquement. Celle sur la rébellion du Cameroun anglophone se concentre par exemple sur la question de l’impunité dans la répression gouvernementale, tandis que celle sur le Rwanda traite de l’appui français au régime du président Habyarimana et de ses suites jusqu’à la mort de ce dirigeant le 6 avril 1994, qui lança le génocide des Tutsis. Les plus actualisés sont les chapitres sur le Soudan du Sud et sur le Burundi, particulièrement détaillés et remarquables, qui abordent directement la thématique ethnique dans la durée. Enfin, aucun des cas étudiés ne prend en compte une dimension de terrorisme islamique, et le Sahel est le grand oublié du livre.

La conclusion des deux coordinateurs insiste sur les interventions extérieures qui aggravent et prolongent les guerres civiles africaines. Elle estime qu’une réforme de la gouvernance étatique dans le sens de la transparence et de l’inclusion, mais aussi une révision des frontières des États africains, sont indispensables pour mettre fin aux guerres civiles qui les ravagent. Cette argumentation, intellectuellement cohérente, est malheureusement presque impossible à mettre en pratique sur un continent divisé en une cinquantaine de pays.

François Gaulme

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