Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). Guillaume Lasconjarias propose une analyse de l’ouvrage d’Olivier Kempf, Guerre d’Ukraine (Economica, 2022, 200 pages).

Photographie d'arrière-plan de Tina Hartung  (Unsplash) représentant une barrière en bois colorée aux couleurs du drapeau de l'Ukraine (jaune et bleu), traversée au milieu d'une frise blanche aux motifs bleus. Au premier plan, couverture du livre d'Olivier Kempf "Guerre d'Ukraine".

Comment écrire l’histoire d’une guerre au présent ? Comment, dans le brouillard de la guerre, à l’heure des réseaux sociaux et de l’information en continu, faire œuvre d’historien de l’immédiat, en essayant de garder du recul et d’analyser les événements militaires en train de se réaliser ? Le livre d’Olivier Kempf nous permet de répondre en partie à cette interrogation ; tout part des billets hebdomadaires – et non quotidiens pour se donner le recul nécessaire – que le général en 2e section a livrés sur Twitter, du déclenchement de l’offensive le 24 février 2022 jusqu’à la fin du mois de septembre. On y suit l’évolution du conflit dans cette presque première année de guerre. Tirant profit et parti de sources ouvertes dans les deux camps, ces billets soulignent la réalité d’un champ de bataille devenu transparent, où le renseignement n’est plus le seul apanage des états-majors, mais où il devient possible de documenter, et partant d’expliquer, un conflit au xxie siècle.

La question des outils, des méthodes et de l’analyse n’est pas non plus éludée. On ne trouve pas ici de billets d’humeur ou de prédictions, mais un point de vue qui interroge les postures et choix opérationnels des deux protagonistes, les options possibles et l’importance d’une recontextualisation permanente. La démarche de l’auteur est autant celle du praticien passé que de l’historien, avec un choix délibéré de faire une focale sur tel ou tel axe, en mettant de la cohérence et du sens dans la complexité. Il n’y a pas de divination, mais le choix de peser au trébuchet ce qui se perçoit et ce qui reste hors de nos capacités de détection. On pourrait évidemment, avec le recul, critiquer la forme car ces billets peuvent avoir été tempérés ou démentis ; mais ils offrent un cas unique d’observation d’un conflit et des perceptions qu’il modifie. Surtout, le choix de formuler commentaires militaires et politiques renvoie à ce qu’est finalement la nature profonde et clausewitzienne de la guerre. Trois leçons peuvent être tirées de cet ouvrage. D’abord, la guerre éclair n’existe pas/plus, et la résilience des États conduit soit à des formes de « pat » stratégiques, soit à de possibles escalades. Olivier Kempf souligne pourquoi cette guerre est devenue existentielle pour l’Ukraine comme pour la Russie, avec pour corollaire l’idée qu’elle va durer. Deuxième leçon : il faut revenir sur le concept de « haute intensité » et préférer les termes de guerre régulière, dissymétrique, conventionnelle, blindée-mécanisée, c’est-à-dire redonner aux adjectifs leur sens matériel. Enfin, la guerre d’Ukraine, dernière guerre du xxe siècle ou première du xxie siècle, additionne les dernières technologies (drones, cyber, guerre de l’information…) tout en recyclant des équipements et des matériels parfois très datés. L’observation de ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine constitue un vivier de réflexions essentielles sur la conflictualité d’aujourd’hui et de demain.

Guillaume Lasconjarias

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