Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). Morgan Paglia propose une analyse de l’ouvrage de Susan Colbourn, Euromissiles: The Nuclear Weapons That Nearly Destroyed NATO (Cornell University Press, 2022, 408 pages).

Photographie d'arrière plan par  Kurt Cotoaga  (Unsplash) représentant un missile propulsé dans le ciel. Au premier plan, couverture de l'ouvrage de Susan Colbourn "Euromissiles: The Nuclear Weapons that Nearly Destroyed NATO".

Avant d’aboutir à la signature du Traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) – édifice majeur pour l’architecture de contrôle des armements signé en décembre 1987 –, la crise des Euromissiles a ouvert une séquence de tensions particulièrement longue, de dix ans. Susan Colbourn, directrice adjointe du Triangle d’études de sécurité à Stanford et à l’université de Duke, en livre un récit précis et étayé sous l’angle de la relation transatlantique.

Pensé comme une contribution d’histoire diplomatique, l’ouvrage suit les tractations internes à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) précédant les rounds de négociation Est-Ouest ; un moyen de déconstruire la sémantique de crise souvent accolée aux Euromissiles. Trompeuse, cette notion masque une temporalité longue entrecoupée de flambées de tensions. Quant au déroulé des évènements, il est difficile de parler de rupture, tant l’OTAN est alors convoquée par des questionnements similaires à ceux connus depuis sa création en 1949, le premier étant : comment rendre la dissuasion étendue crédible quand le membre le plus puissant de l’Alliance est le plus éloigné de la ligne de front ? De fait, il est difficile de voir dans l’option retenue par les Alliés – la double approche (dual track), consistant à engager des négociations parallèlement au déploiement des missiles intermédiaires Pershing II et de croisière Gryphon en Europe, adoptée en 1979 – autre chose que la poursuite de la fragile politique d’équilibre en vigueur pendant la Détente, et dont l’objectif principal était de répondre au sentiment d’insécurité des alliés européens tout en engageant le dialogue avec Moscou.

Le caractère inédit de la crise est plutôt la mobilisation sans précédent des mouvements pacifistes européens de tous bords, qui ajoutent à la complexité des mécanismes de décision multinationaux un questionnement profond sur l’OTAN et ses fondements. À tel point qu’après avoir demandé avec vigueur la destruction des Euromissiles, les alliés ont ensuite été inquiets de voir les négociations aboutir, tant le coût politique du prépositionnement des missiles, seulement trois ans avant la signature du traité FNI, avait été important. Ainsi, sans pour autant rompre avec une représentation de l’OTAN où Washington figure en primus inter pares, l’ouvrage éclaire plusieurs rouages du fonctionnement de l’Alliance, notamment l’influence des pressions exercées par les pouvoirs politique, économique et militaire en Europe et, par extension, l’importance de la quête de consensus. À plusieurs égards, l’histoire des Euromissiles éclaire présent et avenir. Après la dénonciation du traité FNI en 2019, on peut se demander si l’approche alors retenue peut être répliquée au xxie siècle, et conduire la communauté internationale à reconstruire une architecture de contrôle des armements viable. L’auteur ne répond pas à la question de manière tranchée. En considérant qu’au terme du processus de négociation du traité FNI, seuls 3 % des arsenaux nucléaires des deux superpuissances ont été éliminés, le bilan est restreint note-t‑elle, soulignant que les décisions successives de déploiements et des objectifs de destruction des Euromissiles ont impliqué des paris risqués, qui auraient très bien pu échouer. En l’absence de dirigeants réformateurs de l’envergure de Gorbatchev, la recette de la décision dual track semble difficilement réplicable.

Morgan Paglia

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