Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2023 de Politique étrangère (n° 2/2023). Vladimir Pol propose une analyse de l’ouvrage de François Héran, Immigration : le grand déni (Seuil, 2023, 192 pages).
Les débats sur l’immigration qui secouent la société française reposeraient trop souvent sur une erreur d’analyse qui nécessite de « rétablir les faits ». Huit chapitres s’y emploient ici, qui cadencent les errements de la politique migratoire de la France depuis 2000. En présentant dans chacun d’eux une idée structurante des enjeux liés aux migrations, l’ambition centrale de ce court essai est un appel au « grand renouvellement », plutôt que de céder à la peur infondée d’un « grand remplacement ».
Car aux représentations erronées d’une invasion étrangère du territoire national, François Héran, démographe, sociologue et titulaire de la chaire Migrations et sociétés au Collège de France, oppose la précision des données. On ne saurait être pour ou contre l’immigration : il s’agit d’un phénomène inéluctable, en France comme à l’étranger.
Les faits, c’est une part de 10,3 % d’immigrés installés en France – un record historique. Ce chiffre, en augmentation, est dû d’abord aux migrations d’étudiants, mais aussi de travailleurs et, plus marginalement, aux demandeurs d’asile. Le regroupement familial quant à lui, s’il cristallise les polémiques, baisse sensiblement. Tableaux et graphiques à l’appui, le démographe démontre que le pays est pourtant loin de prendre sa part dans l’accueil des étrangers au sein de l’Union européenne. À ce titre, l’exemple le plus criant est le décalage avec l’Allemagne qui, à population égale, a accueilli quatorze fois plus de Syriens entre 2014 et 2020. Du reste, la France est loin d’être le pays le plus attractif parmi ses voisins : un argument qui devrait repousser le spectre d’un « appel d’air ».
La réalité des migrations, c’est également la « lente infusion » de la société française, principe selon lequel la minorité d’hier sera diluée dans la majorité de demain. Discriminés par le passé, les Belges, les Italiens, les Portugais ou les Espagnols ne se voient plus aujourd’hui refuser leurs pleins droits de citoyens français. Et au début du xixe siècle, le méridional pouvait passer pour un étranger aux yeux du Parisien, et inversement. Au fond, « l’essor de l’immigration ne fait que s’insérer dans la longue série de ces mutations » qui ont façonné le pays, raison pour laquelle la « continuité historique » chère à l’extrême droite est une notion illusoire.
À partir de ces constats, François Héran suggère une voie réaliste et dépassionnée en faveur d’une « politique active d’accueil et d’intégration ». Ainsi n’hésite-t‑il pas à brocarder la volonté du ministre de l’Intérieur d’« être méchant avec les méchants et gentil avec les gentils ». C’est qu’il n’y a pas de ligne claire entre étrangers réguliers (les « gentils ») et irréguliers (les « méchants »), la précarité ne tenant parfois qu’à l’impéritie de l’administration.
De ce livre bref, mais foisonnant d’idées toujours claires et argumentées avec minutie, un message ressort, qui veut prendre de la hauteur sur notre époque : « Le temps viendra où l’on s’étonnera de découvrir que, dans les années 2020, il se trouvait encore en France des publicistes et des politiciens pour remettre en cause l’appartenance à la société française des citoyens ayant une origine maghrébine ou subsaharienne. »
Que le titre, ambigu, ne trompe pas. Immigration : le grand déni est un plaidoyer pour que la France redevienne pleinement la terre d’accueil qu’elle prétend être.
Vladimir Pol
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