Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2023 de Politique étrangère (n° 1/2023). Pierre Sel propose une analyse de l’ouvrage de Josh Chin et Liza Lin, Surveillance StateInside China’s Quest to Launch a New Era of Social Control (St. Martin’s Press, 2022, 320 pages).

Photographie d'arrière-plan de Lianhao Qu  (Unsplash) représentant des lignes de camrés de surveillance sur un mur. Au premier plan, couverture du livre de Josh Chin et Liza Lin.

La force de cet ouvrage doit beaucoup à la qualité rédactionnelle et à l’expérience des auteurs, Josh Chin et Liza Lin, deux journalistes de renom. Josh Chin a vécu de première main la transformation en profondeur du pays depuis les Jeux olympiques de 2008, tandis que Liza Lin a précédemment couvert les sujets numériques et technologiques chinois pour Bloomberg. L’ouvrage a nécessité près de quatre ans de recherche.

Surveillance State plonge d’abord dans l’extrême de la surveillance numérique chinoise en suivant les pas de Tahir et de sa famille. Citoyen chinois d’ethnie ouïghour, Tahir nous fait ressentir le poids grandissant d’une surveillance toujours plus intrusive au fur et à mesure qu’il la découvre. Ces premiers chapitres décrivent la construction d’un appareil de surveillance aussi efficace qu’intrusif. Un système qui prélude à la disparition et à l’enfermement de millions de Ouïghours, au prétexte de la lutte contre l’extrémisme religieux.

Cette mise en situation est suivie de trois parties, chacune complétant une face du triptyque de la surveillance numérique chinoise : son aspect politique et idéologique ; l’importance de l’international, tant dans la diffusion des technologies que pour le financement de la recherche dans les entreprises chinoises du complexe industriel de la surveillance ; enfin, les limites de la surveillance, tant sur le plan technique que sociétal.

Les auteurs expliquent avec brio l’importance des promesses de la surveillance numérique dans une Chine en quête de son « rêve national » de réussite technologique, de sécurité et d’unité. Les auteurs n’oublient pas non plus les influences étrangères de la cybernétique et du rôle de Qian Xuesen ; l’importance du capital-risque et des géants des semi-conducteurs américains.

Au-delà des dénonciations attendues des dangers de la surveillance, tant en Chine qu’aux États-Unis ou encore en Ouganda, Surveillance State s’attache à montrer également les échecs de cette dernière. Un exemple bienvenu est celui du système de crédit social, présenté à la fois comme un projet aux conséquences potentiellement désastreuses mais aussi et surtout comme un « village Potemkine » de la surveillance, à l’efficacité douteuse et mal comprise.

Cet ouvrage est construit autour d’une trame narrative évidente : celle du déploiement de la surveillance numérique, entre réalités et fictions, peurs et promesses de sécurité. Les auteurs évitent cependant les principaux clichés des discours sur la surveillance en Chine : le panoptique n’existe pas encore, les citoyens chinois s’inquiètent aussi pour leurs vies privées, et les nouvelles technologies ne remplissent parfois pas leurs promesses.

Surveillance State n’est pas un ouvrage universitaire et ne doit pas être compris comme tel. C’est un travail d’enquête, qui entend présenter une vision globale mais équilibrée de la surveillance en Chine et de son expansion mondiale. Ce faisant, les auteurs simplifient forcément le récit et les spécialistes resteront sur leur faim de détails et d’apports théoriques : une critique légère pour un ouvrage aussi ambitieux.

Pierre Sel

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