Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2023 de Politique étrangère (n° 3/2023). Julien Malizard propose une analyse de l’ouvrage d’Alain Quinet, Économie de la guerre (Economica, 2023, 288 pages).

Les méthodes avec lesquelles les économistes abordent les questions stratégiques sont mal connues, notamment parce que leurs travaux sont considérés comme déconnectés d’une partie de la littérature en sciences sociales. L’ouvrage d’Alain Quinet, issu des enseignements réalisés au sein de l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, doit donc se lire comme une passerelle permettant de présenter les principales analyses économiques.

En trois parties et quinze chapitres, ce manuel dresse un panorama exhaustif de l’approche économique des sujets intéressant la communauté de défense. Sous l’angle académique, les chapitres recouvrent aussi bien les travaux fondateurs que les analyses les plus récentes. Le grand mérite de l’ouvrage est de présenter l’intérêt d’une démarche fondée sur la rareté des ressources économiques. Il apparaît ainsi que les travaux économiques sont complémentaires du reste de la littérature scientifique, tout en ne lui étant pas substituables.

La première partie est consacrée à l’étude de la puissance. La difficulté intrinsèque de l’analyse économique tient dans la quantification de la puissance et de ses différentes dimensions, puisqu’elles n’ont pas forcément de valeur monétaire. En centrant son propos sur le rôle de l’État et les liens entre économie, souveraineté et coercition, Alain Quinet contourne astucieusement cet obstacle. Le chapitre 3, consacré aux liens entre puissance économique et puissance militaire, est à ce titre passionnant.

Bien que liée aux questions plus classiques de l’économie de défense (production de défense, dilemme beurre-canons), la deuxième partie reste originale dans son traitement. Elle se focalise sur les arbitrages inhérents aux choix budgétaires. Par ailleurs, l’auteur s’intéresse au thème, longtemps évacué par les économistes, de la mesure des « bénéfices » qu’on peut attendre de la défense. Le chapitre 8 englobe ainsi la question de l’incertitude (les événements pour lesquels on ne peut donner a priori une distribution de probabilité d’occurrence), qui revêt un caractère central dans les relations internationales.

La troisième partie aborde plus spécifiquement les questions d’économie des conflits. La multiplication des bases de données (UCDP/PRIO, ACLED, ITERATE) en fait un champ en pleine croissance. Ces bases permettent de compléter les travaux pionniers consacrés aux effets théoriques. Le dilemme de sécurité est ainsi abordé sous l’angle économique, tout comme les arbitrages entre qualité et masse dans les armées. Le chapitre consacré à l’économie de guerre permet, quant à lui, de recontextualiser cette notion, remise au goût du jour dans le discours du président de la République au salon Eurosatory.

Trois limites de l’ouvrage peuvent cependant être relevées. La première tient au manque de clarté du titre : plus que la guerre, ce sont tous les aspects des questions stratégiques qui sont abordés sous l’angle économique. Ensuite, l’usage du langage mathématique risque de perturber le lecteur peu familier. Enfin, la focalisation sur les problématiques théoriques, avec peu de résultats empiriques, constitue une troisième limite.

En dépit de ces réserves, nul doute pourtant que cet ouvrage est voué à devenir une référence indispensable aux étudiants, aux chercheurs et à tous les praticiens des relations internationales au sens large.

Julien Malizard

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