Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2023 de Politique étrangère (n° 3/2023). Diana-Paula Gherasim, chercheuse au Centre Énergie & Climat de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Simon Sharpe, Five Times Faster: Rethinking the Science, Economics, and Diplomacy of Climate Change (Cambridge University Press, 2023, 334 pages).
Après plus de vingt ans de négociations internationales sur le climat, le monde va cinq fois moins vite que ce qui est nécessaire en matière de décarbonation, avec une communauté scientifique qui ne pose pas les questions essentielles, une pensée économique construite sur des notions rigides et une diplomatie qui ignore la question du partage des efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre, écrasée sous le poids du problème, des intérêts nationaux et du temps long. C’est le constat de l’ouvrage de Simon Sharpe, qui analyse les pratiques dominantes dans la science, l’économie et la diplomatie du changement climatique, avant de proposer de nouvelles approches pour accélérer la décarbonation.
Le monde scientifique est ici appelé à privilégier un prisme d’analyse et de gestion des risques pour se rendre plus utile aux décideurs publics et apporter, au-delà d’une prise de conscience, une véritable injonction à agir à tous les niveaux. Ce qui implique, par exemple, l’interdisciplinarité, l’analyse des scénarios du pire et de la probabilité qu’ils se réalisent dans le temps, l’identification des seuils à partir desquels l’adaptation n’est plus une option, et l’exploration des impacts des changements majeurs de l’écosystème terrestre. L’auteur fait un parallèle avec les attentats du 11 Septembre pour souligner le risque d’un manque d’anticipation et d’imagination en matière de changement climatique, puis propose une « institutionnalisation » de ces principes via des pratiques innovantes comme le red teaming ou le war gaming utilisées dans le milieu de la défense.
Face à l’incertitude sur l’ampleur du changement climatique ainsi qu’à la difficulté de quantifier les coûts tout autant que les bénéfices de l’action, Simon Sharpe se positionne contre la recherche d’un rapport optimal coûts-bénéfices qui n’aurait pas de fondement objectif. La question est plutôt de savoir combien on est prêt à payer pour réduire les risques, d’où la nécessité de comprendre ces risques et la probabilité de leur concrétisation. Il faut regarder l’économie comme un écosystème subissant une évolution constante, où les options d’action doivent se juger par rapport à leurs effets sur les dynamiques de l’écosystème. Il ne s’agit plus de chercher les gains marginaux les plus efficaces, mais les points de basculement où des impulsions marginales génèrent des changements transformationnels.
Concernant l’action internationale, l’auteur s’étonne que le changement climatique ne soit pas traité comme une véritable urgence, à l’instar des questions de prolifération nucléaire. Alors qu’il plaide pour un alignement des efforts entre pays, un partage des connaissances et des expériences, et une aide mutuelle entre États pour surmonter l’opposition interne à la transformation, l’ouvrage se tient à l’écart d’une vision où la compétition entre grandes puissances cherche à obtenir et à conserver une suprématie technologique. La dépendance vis-à-vis des matières premières critiques ou la fragilisation des chaînes de valeur dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes ne sont pas plus abordées.
L’adoption proposée d’une approche plus ciblée en matière de diplomatie climatique, prenant mieux en compte les intérêts internes pour les aligner avec l’action internationale, pourrait cependant contribuer à faire progresser les négociations climatiques.
Diana-Paula Gherasim
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