Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2023 de Politique étrangère (n° 3/2023). Alexandre Jonnekin propose une analyse de l’ouvrage de Camille Morel, Les câbles sous-marins (CNRS Éditions, 2023, 200 pages).

Le livre de Camille Morel est une plongée dans le monde très peu connu des câbles sous-marins, infrastructure aujourd’hui essentielle à la communication et à la transmission de l’information qui voit transiter 98 % des données de l’internet.

Véritable tour d’horizon, l’ouvrage offre une approche globale, exhaustive, au lecteur ignorant du sujet, analysant tour à tour les aspects techniques, économiques et géographiques, ainsi que les questions juridiques, qui lui sont liés. En effet, de la fabrication de la fibre optique dans laquelle circule la lumière à l’installation de ce réseau tentaculaire au fond des océans en passant par leur maintenance, les acteurs impliqués sont nombreux : sociétés privées, « géants du Net », États, mais aussi institutions internationales ou organisations non gouvernementales. L’impact environnemental de cette toile sur les fonds marins fait également l’objet d’un chapitre du livre. Sur ce dernier point, et bien que la présence de ces objets sous-marins ne soit pas neutre pour la nature, les dommages occasionnés paraissent limités. L’idée que ces câbles puissent être utilisés comme des capteurs pour aider à évaluer la santé des océans est même envisagée.

L’intérêt de cet ouvrage réside aussi dans l’approche didactique et très pédagogique adoptée pour faire connaître de manière synthétique les résultats de la thèse dont est tiré l’ouvrage. L’évocation du réseau de câbles télégraphiques sous-marins qui préexistaient aux câbles actuels offre une mise en perspective historique et un éclairage appréciables. Ainsi, l’analyse des changements montre-t‑elle le rôle que ce premier réseau filaire a pu jouer dans les relations diplomatiques dès le milieu du XIXe siècle. Les nombreuses opérations militaires dont il a fait l’objet dans le cadre de conflits entre États aident à saisir l’enjeu stratégique que cette infrastructure représente à nouveau aujourd’hui. À titre d’illustration, l’installation du premier câble franco-britannique fut autorisée côté français par un décret impérial de Napoléon III en 1849, et en 1877 les Turcs opèrent la coupure d’un câble reliant Constantinople à Odessa lors de la guerre qui les oppose à la Russie dans les Balkans.

Si les questions de défense et de sécurité liées aux câbles sont longuement abordées dans le chapitre consacré à ce « nouvel espace de conflictualité », les câbles sous-marins montrent que leur prise en compte au niveau stratégique implique d’agir simultanément dans plusieurs domaines, qui entrent en résonance entre eux. Sur le plan économique, il s’agit par exemple pour les États de garder un certain contrôle sur les grandes sociétés du secteur, et sur les technologies qu’elles développent ; sur le plan militaire, il faut notamment définir une stratégie adaptée et acquérir les moyens de protection de ces infrastructures ; enfin, au niveau politique, les initiatives prises en vue d’établir une gouvernance à l’échelle internationale doivent être poursuivies.

Le lecteur convaincu de l’intérêt de ce sujet à la lecture de cet ouvrage et sensible aux questions militaires cherchera probablement à en prolonger la découverte par une réflexion davantage consacrée à ses aspects tactiques, la question des câbles sous-marins étant au cœur des stratégies de « lutte dans les fonds marins » (seabed warfare en anglais) : extension de la guerre navale aux grandes profondeurs des océans.

Alexandre Jonnekin

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