Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2023 de Politique étrangère (n° 3/2023). Amélie Férey, chercheuse au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Michel Goya et Jean Lopez, L’Ours et le Renard. Histoire immédiate de la guerre en Ukraine (Perrin, 2023, 352 pages).

« Nous croyons tous deux qu’il fallait faire ce livre pour aider à comprendre ceux qui veulent comprendre », expliquent Michel Goya et Jean Lopez dans leur avant-propos. Sur près de 300 pages, à grand renfort de cartes et de chiffres, le pari est tenu.

Le chapitre 1 analyse les forces en présence en amont du 24 février, pour expliquer la surprise de la résistance ukrainienne – le renard – contre un ours russe théoriquement supérieur. La discrète formation des troupes ukrainiennes par l’OTAN, avec le passage de la « tactique orientée commandement » à la « tactique orientée mission », et les dégâts causés par les sanctions économiques sur les équipements russes expliquent l’erreur d’appréciation.

L’échec du blitzkrieg initial s’explique par la combativité des forces ukrainiennes mais aussi par d’heureux coups de chance, comme le réagencement des batteries antiaériennes ukrainiennes peu avant l’attaque, qui a interdit à la Russie la suprématie aérienne.

Le redéploiement du dispositif russe dans le Donbass puis l’enlisement entre mars et septembre 2022 constituent la séquence suivante. La découverte de crimes de guerre russes mobilise les opinions publiques occidentales pour renforcer l’aide militaire. La Cour pénale internationale lance pour la première fois de son histoire un mandat d’arrêt contre le dirigeant d’une puissance nucléaire – et contre une puissance ayant participé aux procès de Nuremberg.

La troisième séquence se déploie entre septembre et décembre 2022 : contre-offensive ukrainienne et retour inattendu de la guerre de manœuvre. Poutine décrète une mobilisation partielle de 300 000 Russes. En octobre, Kherson est reprise par les Ukrainiens et en avril le Moksva est coulé, contraignant la flotte de la mer Noire à revenir en Crimée.

Les promesses non tenues de la « guerre des missiles » ou du bombardement stratégique sont analysées au chapitre 5, avec une stratégie poutinienne tendue vers trois objectifs : l’offensive terrestre dans le Donbass, la paralysie de la société ukrainienne par des frappes de missiles et l’isolement diplomatique de l’Ukraine.

Le dernier chapitre s’attache à la deuxième offensive russe du Donbass, lancée en février 2023. La rédaction de l’ouvrage s’achevant en avril 2023, les succès alors mitigés de la contre-offensive ukrainienne suggèrent un enlisement du conflit.

À l’issue de ce panorama – qui analyse le rapport aux pertes et à l’attrition, le rôle joué par la propagande, les tentatives d’assassinats et d’actions clandestines aussi bien que l’avenir de la maîtrise des armes nucléaires –, reste le difficile exercice de clore l’analyse d’un conflit en cours. Bien qu’« inachevée », la conclusion identifie trois enjeux, au premier rang desquels l’épineuse question de l’avenir de la Crimée. L’éventuelle entrée de l’Ukraine à l’OTAN est un deuxième point de débat, évoqué au sommet de Vilnius de juillet 2023. Enfin, la décision de Poutine d’envahir l’Ukraine met les Européens au défi de (re)construire leur architecture de sécurité, alors qu’ils se découvrent faibles face à une menace russe qui s’avérera sans doute structurante pour le cycle stratégique ouvert le 24 février 2022.

Si l’on aurait aimé avoir plus d’éléments sur la méthodologie choisie pour trier une masse inédite de données ; les auteurs rendent cette dernière plus intelligible par une hauteur de vue salutaire.

Amélie Férey

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