Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2023 de Politique étrangère (n° 3/2023). Stefano Ugolini propose une analyse de l’ouvrage de Lorenzo Codogno et Giampaolo Galli, Meritocracy, Growth, and Lessons from Italy’s Economic Decline (Oxford University Press, 2022, 272 pages).

La monographie de Lorenzo Codogno et Giampaolo Galli défend une thèse claire et simple : l’Italie serait une illustration emblématique de l’impact négatif du manque de méritocratie sur le développement économique. Les auteurs présentent beaucoup de données comparatives transversales sur plusieurs aspects de l’économie italienne : la confiance dans les institutions, la corruption, l’éducation, les inégalités, l’ouverture des marchés, l’évasion fiscale, la gouvernance des entreprises, etc. Après avoir établi que l’Italie est un pays où la méritocratie n’est décidément pas très populaire, ils en concluent rapidement, en s’inspirant directement de la littérature américaine sur la relation entre qualité des institutions et croissance économique, que là est bien le facteur explicatif du déclin italien.

Le lecteur français, rompu aux débats complexes et délicats sur la notion même de méritocratie, restera probablement déçu du traitement assez rudimentaire réservé à la question par les deux économistes italiens. Néanmoins, ce n’est pas à ce niveau que se situe la limite principale de l’ouvrage. L’analyse comparative proposée est sans doute intéressante, et le constat d’un manque criant de méritocratie en Italie ne fera guère débat. En revanche, le lien causal direct entre ce constat et le déclin économique du pays n’est pas si solidement établi. Les auteurs sont bien conscients que l’Italie n’était pas plus méritocratique à l’époque de son « miracle économique », mais ils considèrent que la croissance exceptionnelle des « Trente Glorieuses » italiennes était due à un simple effet de rattrapage mécanique, rapidement épuisé. Malheureusement, il ne s’agit que d’une hypothèse non prouvée, et qui ne prend pas en compte les spécificités structurelles de l’économie italienne.

Depuis 1945, l’Italie a fait le choix très net d’un modèle économique tiré par les exportations de biens à moyenne intensité technologique. Sa croissance a donc été très dépendante des aléas du commerce mondial, affichant de bonnes performances lorsque les conditions internationales étaient favorables à ce modèle (durant les années 1950 et 1960 bien sûr, mais également les années 1980 ou encore après le Covid-19) et, vice-versa, des coups d’arrêt lorsque des chocs des termes de l’échange, ou la montée de la concurrence étrangère, venaient fragiliser un tel positionnement. Cette adhésion stricte à ce modèle, qui apparaît comme une évidence absolue à la totalité des élites politiques et économiques du pays, joue un rôle non négligeable dans l’explication du manque d’intérêt généralisé pour la formation des travailleurs, la recherche fondamentale, la libéralisation des marchés intérieurs, l’amélioration de la qualité des institutions, etc.

Si les structures institutionnelles influencent sans doute les performances économiques, l’inverse semble aussi être le cas : les structures économiques impactent bel et bien les performances institutionnelles. Voici une autre leçon, alternative à celle proposée par Codogno et Galli, que l’on pourrait tirer du cas italien, et qui ne serait pas dépourvue d’intérêt pour d’autres pays ayant également absolutisé leur modèle économique (dont, notamment, l’Allemagne). Une approche plus historique et moins transversale aurait permis aux auteurs d’aller au-delà de leurs conclusions qui sont, hélas, beaucoup trop simplistes pour être vraiment satisfaisantes.

Stefano Ugolini

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