Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2023 de Politique étrangère (n° 4/2023). Catherine Iffly propose une analyse de l’ouvrage de Paul Hansbury, Belarus in Crisis: From Domestic Unrest to Russia-Ukraine War (Hurst, 2023, 304 pages).

Cet ouvrage, qui analyse synthétiquement l’histoire, l’économie, la politique et les relations extérieures de la Biélorussie, foisonne en réflexions pointues et captivantes – un livre particulièrement intéressant dans le contexte actuel.

Les analyses nuancées de l’auteur nous permettent de comprendre la crise politique d’août 2020 et ses conséquences majeures, pour le pays ainsi que pour l’équilibre régional et européen. Il explique la genèse des changements qui se sont exprimés dans les urnes et les protestations de rue qui ont suivi la proclamation par les autorités de la victoire du président Loukachenko dès le premier tour.

L’un des aspects les plus intéressants du livre consiste dans les analyses fines de l’articulation entre dynamiques internes et relations extérieures de la Biélorussie avec la Russie, l’Union européenne et les États-Unis. La dure répression qui s’est abattue sur les manifestants et sur la société civile mobilisée contre la fraude électorale, puis différents événements postérieurs (détournement de l’avion de Ryanair, crise des migrants) ont complètement isolé Minsk. Pendant longtemps, le président Loukachenko, qui entretenait des relations mouvementées avec son voisin, avait réussi à soutirer des fonds à la Russie pour financer l’économie biélorusse, tout en résistant à nombre d’exigences du président Poutine. L’État-union de Russie-Biélorussie était à l’arrêt, en dépit des efforts de Moscou pour approfondir cette intégration. La demande du ministre de la Défense russe d’assortir l’État-union d’un commandement militaire joint avait fait long feu. À la suite des événements de 2020, la Biélorussie est devenue plus dépendante de la Russie à tous égards. Elle a dû renoncer à son autonomie stratégique.

Préalablement à ces réflexions, l’auteur s’efforce de dégager des fils conducteurs historiques, qui fondent deux interprétations du passé biélorusse, nourrissant des projets distincts de construction de la nation, l’un orienté vers l’ouest, l’autre vers l’est. Il est dommage que les pages consacrées à la langue et la culture biélorusses soient si minces, les mouvements littéraires et culturels en biélorusse apparus dans les années 1990 et leur signification politique n’étant pas évoqués.

À la lecture de ces analyses se pose la question de savoir – même si elle n’est pas formulée en ces termes par Paul Hansbury – si l’invasion à plus grande échelle de l’Ukraine, déclenchée par la Russie le 24 février 2022, et la marche sur Kiev à partir de la Biélorussie – avec l’objectif de mettre fin au gouvernement du président Zelensky – auraient pu être conçues et mises en œuvre de cette manière sans la crise biélorusse de 2020 et ses conséquences. Tandis que des milliers de Biélorusses ont été emprisonnés, plusieurs centaines de milliers ont fui à l’étranger : toute protestation contre l’utilisation de leur territoire pour attaquer l’Ukraine semble dorénavant vouée à l’échec.

Pour l’auteur, l’issue de la guerre russo-ukrainienne est devenue le facteur déterminant pour l’existence future de la Biélorussie comme État souverain. Les conclusions, peut-être parce qu’elles ont été rédigées vers la mi-2022, peuvent paraître trop pessimistes. La société biélorusse est certes très polarisée, l’opposition exilée divisée. Mais compte tenu de l’importance de la diaspora biélorusse à l’étranger, celle-ci pourrait aussi constituer un facteur favorable de changement à l’avenir.

Catherine Iffly

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