Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2023 de Politique étrangère (n° 4/2023). Sina Schlimmer, chercheuse au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Rachel Sigman, Parties, Political Finance, and Governance in Africa: Extracting Money and Shaping States in Benin and Ghana (Cambridge University Press, 2023, 332 pages).
La corruption et le détournement de fonds publics, conséquences d’une « mauvaise gouvernance » et d’institutions étatiques « faibles », s’invitent régulièrement dans les débats de profanes sur l’Afrique. L’utilisation privative ou politique de ressources étatiques est souvent traitée comme une vérité générale sur les soi-disant dysfonctionnements des systèmes politiques du continent africain.
Dans un ouvrage académique riche en termes de données empiriques, de méthode et de théorisation, Rachel Sigman, politiste et maîtresse de conférences à l’université de Denver, invite à prendre du recul sur cette idée reçue. En s’intéressant aux pratiques d’extraction des ressources étatiques par des acteurs partisans au profit de leur compétition politique, elle limite son analyse à un type de détournement de fonds particulier. Elle distingue la corruption, le clientélisme, l’appropriation privative des ressources publiques, ou encore la redistribution des fonds publics selon des logiques néopatrimoniales. Cette déconstruction des termes associés à la gestion des finances publiques en Afrique est un premier atout de l’ouvrage.
En s’appuyant sur une comparaison des cas du Ghana et du Bénin, Rachel Sigman formule la thèse suivante : dans un contexte où la participation à la compétition politique devient de plus en plus coûteuse, les acteurs politiques recourent à différentes ressources étatiques. Par exemple, ils distribuent des postes et des services en échange d’un soutien matériel lors des élections. Ces pratiques d’extraction des ressources varient d’un contexte à l’autre. Pour Sigman, la variable indépendante pour saisir ces différences est le degré d’institutionnalisation des partis politiques : plus les institutions partisanes sont consolidées, plus le réseau du parti est robuste, et plus un acteur politique dispose d’instruments et d’agents fiables pour extraire des ressources étatiques (cas du Ghana). En revanche, si les institutions partisanes sont faibles, les pratiques d’extraction reposent sur des actions d’individus, et le risque politique est plus élevé.
Un grand atout de cet ouvrage est l’approche originale qu’il propose pour comprendre la formation politique de l’État en Afrique. Il démontre d’abord que l’argument de la « faiblesse » de l’État et des institutions politiques ne suffit pas à expliquer l’utilisation politique des ressources étatiques. Ensuite, l’ouvrage établit une corrélation nouvelle entre construction étatique, finances publiques et formation des partis politiques. Enfin, il rentre dans les rouages des administrations étatiques et partisanes, en analysant finement les (inter)actions des agents impliqués dans les pratiques d’extraction.
L’ouvrage de Rachel Sigman s’appuie sur une impressionnante boîte à outils méthodologique. Celle-ci n’attend que d’être explorée par des étudiants et chercheurs utilisant des approches comparatives et travaillant sur des objets de recherche délicats. La quantité des données de première main sur un sujet politiquement sensible mérite d’être soulignée. Cette richesse empirique et méthodologique vient contrebalancer les faiblesses définitionnelles d’un ouvrage ambitieux, reposant sur moult concepts de science politique.
Sina Schlimmer
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