Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2023 de Politique étrangère (n° 4/2023). Denis Bauchard, conseiller pour le Moyen-Orient à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Myriam Benraad, L’État islamique est-il défait ? (CNRS Éditions, 2023, 128 pages).

Depuis la prise de Mossoul puis de Raqqa en 2017, l’État islamique (EI) s’est sensiblement évaporé de l’actualité : à part quelques attentats ou événements comme l’évasion massive de djihadistes de la prison d’Hassaké en Syrie en janvier 2022, l’EI a peu fait parler de lui. Battu militairement, le proto-État bâti à cheval sur la Syrie et l’Irak a disparu. Ses chefs successifs ont été éliminés, ses structures démantelées. Ceci signifie-t‑il qu’il ne constituerait plus une menace, pour les pays dans lesquels il s’est implanté ou pour les pays extérieurs, notamment l’Europe ?

Myriam Benraad observe tout d’abord que l’importance de ce mouvement a été amplifiée, grâce notamment à une politique de communication très professionnelle et efficace, même si, par ses pratiques horrifiques, il a été ressenti comme une menace majeure. Elle observe aussi que le contrôle sur les territoires revendiqués s’est rapidement délité et que le proto-État créé était largement fictif et surtout « fort des faiblesses des armées syriennes et irakiennes corrompues ». L’EI n’a jamais eu le soutien des populations sunnites qui, dans leur majorité, n’ont pas adhéré à son projet. La mise en place de structures politiques et administratives s’est révélée peu probante. Il s’est montré incapable de « formaliser un projet politique pan-islamiste ». En fait, sa gouvernance est apparue rapidement comme un « système d’oppression totalitaire ». Ses pratiques mafieuses, caractérisées par des exactions impitoyables, des rançons, des extorsions de fonds et le recours à une corruption qu’il était censé combattre, l’ont déconsidéré aux yeux d’une population en détresse qui a eu largement un réflexe de rejet.

La défaite évidente de l’EI a-t‑elle fait disparaître toute menace ? Pour l’auteure, l’EI existe toujours et la menace reste prégnante. Tout d’abord, les causes qui l’ont fait apparaître et lui ont permis de se développer sont loin d’avoir disparu. La Syrie et, dans une moindre mesure, l’Irak sont des États faillis, incapables de reconstruire des pays dévastés par la violence et d’assurer à leur population une vie décente. La faillite des États, comme le vide sécuritaire et la polarisation des sociétés, sont autant de terreaux susceptibles de redonner vie aux actions de l’EI. De fait, les djihadistes se sont dispersés dans des poches non contrôlées en Syrie et en Irak. En outre, le caractère transnational du mouvement demeure. L’EI s’est en quelque sorte décentralisé en une nébuleuse présente sur de nombreux terrains : le Sahel, la Corne de l’Afrique, le Yémen, l’Afghanistan. Son idéologie est toujours vivante. Le salafisme djihadiste subsiste, il continue d’appeler à lutter contre l’« impérialisme de l’Occident » et à mettre fin au déclin de l’islam. Si l’EI reconnaît sa défaite, il y voit seulement « un recul, une épreuve voulue par Dieu » qui ne peut que l’encourager à relancer son action. Le retour du califat et de l’âge d’or de l’Islam reste une utopie partagée par ses partisans.

Il est clair que l’affrontement entre Israël et le Hamas ne peut qu’alimenter un tel dessein, même si la capacité réelle d’action de l’EI est pour l’heure affaiblie de façon significative. Le livre de Myriam Benraad permet de mieux cerner une menace qui, bien qu’inférieure à celle connue lors de la dernière décennie, est toujours présente.

Denis Bauchard

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