Dans un article publié aujourd’hui dans Le Figaro, la journaliste Clara Galtier analyse les raisons pour lesquelles l’économie russe ne s’est pas effondrée malgré la guerre d’Ukraine. Elle cite à ce titre l’article de Vladislav Inozemtsev, « Guerre d’Ukraine : où en est l’économie russe ? », publié dans le n° 4/2023 de Politique étrangère.

Malgré le régime strict de sanctions, la Russie continue de déjouer les prédictions négatives. Elle devrait connaître une croissance de 2,6 % en 2024 selon le Fonds monétaire international (FMI).

Même les prévisions officielles du Kremlin ne sont pas si optimistes. Le FMI vient de fortement réviser à la hausse ses prévisions économiques pour la Russie en 2024, de 1,1 % à 2,6 % (contre 1,5 % au maximum pour la Banque centrale russe). Ces nouvelles estimations surviennent alors que l’économie russe s’est redressée plus tôt que prévue, avec un rebond en 2023 estimé autour de 3 %, là où de nombreux économistes prédisaient encore une récession. […]

« Je pense que le FMI est impressionné par la résilience de l’économie russe et améliore son propre pronostic en prévoyant le maintien de deux facteurs : celui des dépenses militaires à un niveau élevé qui stimulent l’ensemble de la consommation et des prix stables pour les hydrocarbures russes, donc des revenus budgétaires importants », analyse Tatiana Kastoueva-Jean, directrice du centre Russie/Eurasie à l’Ifri.

L’épicentre de la croissance réside dans l’industrie. L’État a massivement investi dans le complexe militaro-industriel. Entre 35 % et 50 % de la croissance – selon les sources – s’expliquent par la production de commandes liées à la guerre. L’industrie manufacturière est en pleine accélération. L’économie de guerre et la hausse des dépenses publiques ont permis de soutenir les revenus des ménages. Les salaires réels (donc déduits de l’inflation) ont augmenté de 13,3 % en mai 2023 sur un an, selon l’économiste russe en exil Vladislav Inozemtzev, auteur d’un article dans Politique étrangère. De quoi entretenir la consommation même si de fortes disparités existent. Le Kremlin a en outre distribué des soutiens aux familles des militaires sur le front et les ouvriers dans la défense, des aides qui touchent entre quatre et cinq millions de foyers. […]

Une économie en surchauffe

Sur le marché intérieur, les entreprises privées russes ont échappé aux sanctions, mises en place de nouveaux partenariats à l’intérieur et à l’extérieur du pays, et continué à soutenir l’emploi tout au long de la guerre. Le départ des entreprises occidentales a libéré des parts de marché aux entrepreneurs russes. « Au premier trimestre 2023, l’augmentation nette du nombre d’entreprises commerciales enregistrées a dépassé la barre des 50 000, le nombre d’entrepreneurs individuels de moins de 35 ans augmentant de 40 % » , écrit Vladislav Inozemtzev.

Les sanctions financières elles-mêmes n’ont eu qu’un impact limité : le montant des actifs gelés de la Banque centrale de la Fédération de Russie (environ 300 milliards de dollars) est identique à l’excédent commercial de la Russie en 2022. Par ailleurs, le yuan s’est substitué au dollar et à l’euro pour servir le commerce extérieur russe. Reste que, avec une inflation élevée, l’envolée des dépenses de défense (+ 70 % prévus en 2024), des taux d’intérêt à 16 % et l’utilisation maximale des capacités de productions, l’économie russe est en surchauffe. Si les opposants politiques sont muselés, il n’en est rien pour les critiques d’économistes. La directrice de la Banque centrale en personne, Elvira Nabioullina, dont les compétences sont respectées par ses pairs étrangers, avertissait il y a quelques semaines que dans cette situation « on peut aller très haut, mais pas pour longtemps. » La perte de capital humain – un million de cadres qualifiés auraient quitté le pays – pourrait, sur le long terme, coûter davantage à la Russie que les pertes financières engendrées par la guerre, prévient Vladislav Inozemtzev. Pour le moment les pénuries de main-d’œuvre tirent vers le haut les salaires mais cela ne durera pas. « D’ici la fin des années 2020, le pays va perdre une portion non négligeable de sa capacité industrielle d’avant-guerre, avec un PIB qui pourrait se contracter de 10 % à 15 % avant la fin de la décennie. »

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