Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2023 de Politique étrangère (n° 4/2023). Jean-François Daguzan propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Louis Levet et Paul Tolila, Le mal algérien (Bouquins, 2023, 384 pages).
Ce livre est sans doute l’effet d’un amour déçu, mais peut-être aussi d’un espoir. Les deux auteurs connaissent très bien l’Algérie – nés dans ce pays et ayant travaillé avec lui. Ils s’y sont investis, l’ont aimé, l’aiment. Ce livre est aussi celui d’une expérience. De 2013 à 2019, les auteurs ont dirigé la mission de « coopération technologique et industrielle » censée trouver les voies du renforcement des relations bilatérales. Il s’agit également d’un carnet de route.
En quinze chapitres, les auteurs nous proposent un décodage fin des différentes facettes de la relation franco-algérienne, mais aussi du pays lui-même. De la naissance dans la douleur en 1962 à l’après Hirak (le mouvement qui a conduit à la chute de Bouteflika) et au retour d’un autoritarisme corseté, le livre n’élude rien des problèmes que connaît le pays, des déficiences de ses dirigeants mais aussi des travers, faiblesses et/ou complaisance d’une classe politique française tétanisée. Mais cela est déjà largement documenté.
Ce qui est vraiment passionnant est la description clinique de la mission et de ses avatars. Elle permet de montrer la richesse disponible d’étudiants, de chercheurs, d’entrepreneurs algériens, très nombreux en demande de coopération, de rencontres, de développement partagé (l’auteur de ces lignes, ayant en son temps pu rencontrer les jeunes start-upeurs algériens, peut en témoigner). Elle montre aussi le désir français, profond, de coopérer à tous les niveaux – ville, région, université, entreprise. Mais elle fait apparaître en contrepoint la redoutable capacité politico-administrative algérienne à détricoter en parallèle ce qui a été négocié et engagé. Les chapitres sur la « décentralisation » et les administrations centrales algériennes méritent à eux seuls le détour. Ce décryptage du « vécu » en cinq ans de travail fait le constat d’une inaction pensée comme modèle d’action, placée sous le contrôle d’une verticalité absolue (ce qui était le cas avant) et menaçante (ce qui est la marque de la période post-Hirak), paralysant toute initiative.
Le pays vit donc sous le joug d’une oligarchie politico-militaire qui, au lieu de s’affaiblir à la chute de Bouteflika, s’est renforcée et s’enrichit de la rente gazière. Le pays plie sous le poids d’une administration méprisante, de la corruption et des trafics.
Certes, on objectera à Alger que ces analyses sont le fait d’affreux néo-colonialistes, et qu’il s’agit de salir le pays faute de pouvoir le contrôler. La réalité est qu’à Paris, depuis toujours et en dépit des avanies successives, il y a toujours eu un groupe de gens prêts à se battre pour maintenir une relation privilégiée léguée par l’histoire. Mais pour cela encore faut-il être deux !
La seule critique de ce livre remarquable pourrait être celle (imputable à l’éditeur ?) de l’absence de bibliographie. Il eût été bon de souligner qu’existent encore, malgré le désintérêt politico-universitaire de ces trente dernières années, des chercheurs français et algériens qui travaillent sur ce pays, en dépit des difficultés d’accès et des restrictions budgétaires. Quelques-uns sont cités en note mais on aurait souhaité ce vivier fécond mieux éclairé. Pendant la crise, la recherche continue…
L’ouvrage se clôt pourtant sur une note d’espoir : les voies d’une coopération renouvelée existent toujours. Aux peuples de s’en saisir.
Jean-François Daguzan
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