Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2024 de Politique étrangère (n° 1/2024). Boyan Radoykov propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Norbert Gaillard, Fumihito Gotoh et Rick Michalek, The Future of Multilateralism and Globalization in the Age of the U.S.-China Rivalry (Routledge, 2024, 286 pages).

Cet ouvrage sensibilisera le lecteur aux grands enjeux générés par la rivalité entre les deux premières superpuissances. Le lecteur appréciera la richesse et l’homogénéité des analyses d’une thématique disparate, qui contribuent à la richesse d’un ouvrage documenté, abondant en faits, statistiques et références historiques.

L’ouvrage couvre presque exclusivement les aspects économiques de cette rivalité et n’aborde que sporadiquement, et de manière insuffisante, les aspects politiques, militaires et de sécurité globale. Cela affaiblit l’ambition des auteurs de « fournir un schéma directeur pour un ordre international remodelé et florissant ». Les sections consacrées aux défis du changement climatique et à la crise du Covid-19 ne comblent que partiellement cette lacune. Le livre réussit cependant à nous convaincre que le monde est déjà l’arène du jeu concurrentiel entre les deux superpuissances, avec des sphères d’influence fluctuant au gré des élections et des alliances, et donc beaucoup moins établies et respectées que pendant la guerre froide.

La crise des institutions américaines facilite l’expansion de la Chine. De même, la guerre d’Ukraine apporte son lot de « nouveautés » : réhabilitation de la conquête territoriale par la force, basculement vers la négativité de l’ordre établi des relations internationales, réduction constante de la démocratie à des normes et des processus au détriment des valeurs fondamentales.

Il en résulte que les États-Unis ne peuvent plus se prévaloir de servir de modèle au reste du monde. Le Sud global, sous l’égide et l’impulsion de la Chine, préfère nettement une forme d’autorité fonctionnelle qui s’éloigne de la dictature sans tomber dans les travers de dysfonctionnements démocratiques avérés. Ainsi, la Chine tente-t‑elle de profiter pleinement de sa puissance économique et, plus récemment, militaire pour prendre la relève des États-Unis. Cela n’est guère évident, étant donné que sa réputation a été ternie par ses choix politiques répressifs, son soutien à peine voilé aux opérations belliqueuses de Moscou et de Pyongyang, ainsi que par sa responsabilité dans la crise sanitaire mondiale causée par le Covid-19, dont personne ne conteste les origines chinoises, intentionnelles ou pas.

Mais la Chine, contrairement aux démocraties européennes et américaine, est un marathonien de la stratégie politique, et non un sprinter. Alors que, tous les quatre ans, les États-Unis peuvent prendre un virage et changer radicalement de politique, en Chine c’est la continuité qui prévaut. Xi Jinping est président de la République populaire de Chine depuis plus de dix ans et, depuis l’abolition de la limitation du nombre de mandats successifs, il est potentiellement président à vie. Une permanence politique qui fait de la Chine un adversaire redoutable.

En filigrane de cet ouvrage, une question centrale reste sans réponse : comment les États-Unis, à l’appui de leur stratégie d’endiguement de la Chine, pourraient-ils mobiliser davantage les démocraties – considérablement affaiblies par les investissements chinois massifs dans leurs économies, mais aussi dans leurs systèmes éducatifs et culturels – pour sortir gagnants d’une rivalité géostratégique qui restera sans aucun doute l’enjeu majeur du XXIe siècle ?

Boyan Radoykov

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