Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2024 de Politique étrangère (n° 1/2024). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de John Coates, The Problem of Twelve: When a Few Financial Institutions Control Everything (Columbia Global Reports, 2023, 190 pages).

John Coates est professeur d’analyse économique du droit à la Harvard Law School et ancien responsable à la Securities and Exchange Commission, principale agence américaine de réglementation et supervision financières. Dans ce court ouvrage, il étudie l’influence croissante, et inquiétante, qu’exercent les grands fonds indiciels (FI) et fonds de capital-investissement (FCI) aux États-Unis.

Les FI sont des fonds de placement qui cherchent à reproduire le rendement d’un indice boursier – tel le S&P 500. Leur création, qui remonte au début des années 1970, repose sur la controversée hypothèse des marchés financiers efficients. En effet, si le marché des actions incorpore toutes les informations disponibles, alors il est vain de chercher à prévoir l’évolution des cours de la Bourse et il devient bien plus simple et profitable d’acheter et de détenir des portefeuilles d’actions ou des indices. C’est précisément la tâche des FI. En 2022, les quatre premiers FI (Vanguard, State Street, BlackRock et Fidelity) contrôlaient 25 % des droits de vote des entreprises du S&P 500.

Les FCI sont des organismes de placement collectif prenant des participations dans des sociétés cotées ou non cotées en Bourse, en vue de les revendre hors marché. Les acquisitions sont souvent assurées grâce à un effet de levier (fort endettement) et via des offres publiques d’achat hostiles. Aujourd’hui, plus d’un tiers du capital des entreprises américaines n’est pas coté en Bourse et demeure en bonne partie aux mains des FCI. Par exemple, les quatre premiers FCI (Apollo, Blackstone, Carlyle et KKR) détiennent environ 2 700 milliards d’actifs.

Les FI et FCI posent différents problèmes. Les FI sont l’une des bêtes noires du Parti républicain. Ils font un intense lobbying auprès des managers des grands groupes afin d’imposer certaines thématiques économiques, sociales ou sociétales. State Street est ainsi connu pour chercher à imposer la diversité au sein des firmes multinationales. De même, les prises de position de Larry Fink, président de BlackRock, sont scrutées par les milieux économiques et financiers. Plus globalement, la concentration croissante de l’actionnariat corporate entre les mains des FI fait craindre la constitution de trusts tout-puissants.

Les FCI sont, eux, critiqués par les Démocrates, qui leur reprochent leur lutte incessante contre toute forme de réglementation financière. Blackstone contribue depuis plusieurs années aux campagnes électorales de divers politiciens (comme la sénatrice Kyrsten Sinema), afin d’édulcorer les projets de loi jugés trop interventionnistes. Les FCI sont également très engagés dans la recherche académique : dès les années 1980, KKR a financé des travaux promouvant le capital equity, quitte à aboutir à des publications biaisées. Enfin, les FCI sont régulièrement au cœur de scandales de délits d’initiés ayant permis de procéder à des acquisitions à des prix avantageux.

Face à ces dérives, John Coates avance des propositions assez timides. Reconnaissant l’efficacité des FI et FCI (fruit d’énormes économies d’échelle), il ne préconise pas d’arsenal antitrust. Il préfère des mesures destinées à lutter contre les conflits d’intérêts et à améliorer la transparence en matière de stratégie d’achat d’actifs.

Norbert Gaillard

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