Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2024 de Politique étrangère (n° 1/2024). Cyrille P. Coutansais et Manon Vissio proposent une analyse de l’ouvrage de Maxence Brischoux, Géopolitique des mers (Presses universitaires de France, 2023, 168 pages).
Maxence Brischoux nous embarque dans une réflexion autour du gouvernement des mers, cabotant de l’histoire à la philosophie en passant par la politique ou l’économie. Cette réflexion est sous-tendue par quatre ruptures. La première d’entre elles, bien connue désormais, est l’impact environnemental qui, de la surpêche aux effets du réchauffement climatique en passant par la pollution plastique, fait peser une menace prégnante sur les océans et impose une protection à la hauteur.
Les deuxième et troisième ruptures sont pour partie liées : la bascule asiatique – 94 % des navires neufs sont issus de Chine, du Japon et de Corée du Sud ; dans les dix premiers ports du monde, neuf sont situés sur ce continent ; l’essentiel des marins de la flotte de commerce mondiale sont fournis par les nations asiatiques, Philippines au premier chef – n’est pas sans effet sur le retour de la rivalité stratégique en mer, caractérisée, notamment, par la montée en puissance de la marine chinoise. Enfin, la quatrième rupture est sans doute la plus nouvelle à l’échelle du temps long. Il s’agit de l’accélération de l’emprise humaine sur les mers à travers la myriade d’activités qui s’y déploient : parcs aquacoles, champs d’éoliennes, etc.
À l’évidence, le gouvernement des mers ne peut passer par une autorité mondiale que les fractures géopolitiques actuelles rendent utopique. Mais l’auteur ne se satisfait pas non plus de la solution consistant à allouer des zones aux États tout en limitant leurs activités d’exploitation des ressources, en ce qu’elle impliquerait la disparition de la spécificité politique des mers qui devraient passer du « règne de l’illimité à celui des limites ». Une des solutions, bien imparfaite certes, consiste à remettre sans cesse sur le métier le vénérable droit de la mer qui, en dépit des critiques, est parvenu – dans le contexte géopolitique très tendu de la guerre froide – à donner naissance à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer en 1982 et, tout récemment, à l’accord sur la haute mer, dans un contexte géopolitique assombri par la guerre d’Ukraine et la rivalité Chine/États-Unis.
Pourra contribuer à ce meilleur contrôle des mers une autre rupture majeure, que l’on aurait aimé voir davantage détaillée : celle des technologies. Via les applications de traitement de la donnée maritime, elles permettent de voir et connaître beaucoup plus de choses que nous n’en avons connues durant les derniers siècles. Véhicules sous-marins téléopérés, robots autonomes sous-marins, drones sous toutes les formes ne font qu’ajouter à notre meilleure connaissance des mers, des océans et de ce qui s’y passe. Reste que la connaissance ne changera pas la nature même d’un milieu marin qui, à la différence de la terre, est hostile et « impermanent », rendant impossible l’habitation humaine en continu. C’est ce qui le rendra à jamais spécifique, et à ce titre irréductible à une trop forte « humanisation ».
On l’aura compris, cet essai agréable à lire et enrichissant décrit parfaitement les enjeux touchant aux mers et océans. On peut regretter que la partie sur les technologies, l’espace et les satellites – sans lesquels la démultiplication des activités en mer serait pour le coup impossible – ne soit pas plus développée : c’est la seule réserve à formuler sur un livre très actuel et stimulant.
Cyrille P. Coutansais
et Manon Vissio
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