Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2024 de Politique étrangère (n° 1/2024). Christian Lechervy propose une analyse de l’ouvrage de Oliver Slow, Return of the Junta: Why Myanmar’s Military Must Go Back to the Barracks (Bloomsbury, 2023, 256 pages).
Rares sont les ouvrages consacrés ces trois dernières années aux événements malmenant la Birmanie. Le texte du Britannique Oliver Slow est, à ce titre, une exception bienvenue. Sa rédaction a commencé avant la prise du pouvoir du général Min Aung Hlaing, mais il n’en demeure pas moins une étude d’actualité sur les sujets les plus brûlants de la scène politique birmane.
Ce qui devait être un récit de voyages et un partage d’expériences d’un correspondant de presse lancé dans des aventures éditoriales rangounaises (Myanmar Business Today de 2013 à 2015, puis Frontier Myanmar Magazine de 2015 à 2018) est devenu un essai par la force des événements qui ont plongé la République de l’union du Myanmar dans la violence et la récession. Certes, l’auteur a vu se dérouler les événements les plus récents depuis la Thaïlande et le Royaume-Uni, mais son expérience de terrain et des chemins démocratiques parcourus de 2012 à 2020 lui ont donné matière à réflexions.
Au récit du putsch et du développement des résistances armées s’est ajouté un examen de l’histoire politique tumultueuse depuis l’indépendance en janvier 1948. Avec, successivement, un regard sur le coup d’État du général Ne Win en 1962, l’instauration des régimes militaires du Conseil d’État pour la restauration de la loi et de l’ordre (1988-1997), du Conseil d’État pour la paix et le développement (1997-2011) et le régime dit civilo-militaire du général Thein Sein (2011-2016). À tous ces temps forts militaires, l’analyste a opposé dans un même chapitre ceux de la contestation (les obsèques du secrétaire général des Nations unies U Thant, l’insurrection du 8 août 1988, la révolution de Safran de 2015, les triomphes électoraux d’Aung San Suu Kyi de 2012, 2015 et 2020). Mais à chacune des étapes sanglantes ayant permis aux généraux de se maintenir au pouvoir, les responsables des exactions contre les populations civiles ont pu échapper aux sanctions et à la justice.
Une culture de l’impunité s’est très profondément enracinée au cœur d’un État forgé par six décennies de régimes militaires. Elle a sauté aux yeux de la communauté internationale lors des violences exacerbées contre les Rohingyas de l’État Rakhine, y compris en 2017 (10 000 morts) alors qu’un gouvernement civil était en place à Naypyidaw. Si la justice internationale s’est emparée de ces crimes de masse contre les populations musulmanes vivant à la frontière du Bangladesh (Cour pénale internationale en 2018, Cour internationale de justice en 2022) et a élargi ses investigations sur les événements les plus récents (Cour pénale internationale), elle n’a pu changer le cours des violences, notamment contre les minorités ethniques. Sur un ton agrémenté d’expériences vécues sont ainsi contés le sort des populations karens, les escalades combattantes aux quatre coins du territoire et le sort de l’accord national de cessez-le-feu établi en octobre 2015.
Avec pédagogie, le collaborateur de la BBC dépeint ici un vaste panorama politique avec quelques attentions sociales, comme l’abandon du système éducatif par tous les gouvernements dirigés par des hommes en uniformes. Si les décennies d’échecs économiques auraient mérité plus d’attention, le point de vue très tranché de l’observateur sur l’indispensable retour des militaires dans leurs casernements pour concourir à une sortie de crise ne nous dit pas comment y parvenir avec quelques chances de succès.
Christian Lechervy
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