Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2024 de Politique étrangère (n° 2/2024). François Thuillier propose une analyse de l’ouvrage de Pierre-Alain Clément, L’État anxieux. La législation antiterroriste des États-Unis depuis le 11-Septembre (Presses universitaires de France, 2023, 256 pages).

Le sentiment obsidional qui a saisi l’Occident après les attentats du 11 Septembre a suffisamment été documenté pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y revenir. Pourtant, la thèse de Pierre-Alain Clément, opportunément publiée par les PUF au moment où la France n’en finit plus de payer politiquement son alignement stratégique de 2007, nous invite à le revisiter à la lumière des débats qui ont agité le pouvoir législatif américain de 2001 à 2015, soit du Patriot Act au Freedom Act.

Coincé, comme ailleurs, hier comme aujourd’hui, entre une opinion publique travaillée par des médias néo-conservateurs imposant le langage de la peur, et une administration de la sécurité et du renseignement tout occupée à s’émanciper de l’État libéral et sans réels contre-pouvoirs, le Congrès américain apparaît néanmoins ici comme le dernier refuge du débat contradictoire, sinon de l’intelligence collective – la raison universitaire ayant été écartée d’emblée et rendue inaudible.

L’histoire n’est pas terminée, elle se poursuit sous nos yeux, tant les déterminants du climat sécuritaire qui baigne la plupart des démocraties occidentales puisent leur source dans cet hémicycle du Congrès, véritable matrice de notre époque fébrile, dont le rigoureux travail de l’auteur nous ouvre les portes. Ce retour bienvenu sur les origines de nos « démocraties sous stress » (Antoine Garapon) nous invite ainsi à sonder le cœur et les reins du législateur américain qui a fixé le cadre juridique de la guerre contre le terrorisme déclarée en 2001.

Car ce fut à ce moment que la dialectique antiterroriste s’enferma dans cette pensée binaire qui consiste à choisir entre la sécurité et la liberté, faisant du respect des libertés publiques la variable d’ajustement d’une efficacité supposée de la lutte antiterroriste et rejetant dans l’ombre tout autre questionnement – notamment sur la nature réelle de la menace, ou le caractère performatif des discours. Ce rétrécissement du débat, à ce point mortifère, nous a certainement fait perdre cette guerre, ainsi que la paix qui aurait dû lui succéder.

Finalement, deux impressions affleurent après avoir refermé ce livre. D’abord, la facilité avec laquelle le contre-terrorisme s’est glissé dans les politiques intérieure et extérieure américaines prouve qu’il y disposait d’une place centrale depuis longtemps déjà. Au moins dans les esprits, et surtout dans l’agenda du complexe sécuritaro-industriel américain. Le Patriot Act était ainsi largement écrit avant le 11 Septembre.

La séquence interroge ensuite sur l’idée même de démocratie, tout au moins de démocratie d’opinion comme aujourd’hui, quand les représentants du peuple manifestent aussi peu de discernement et autant de passion que le reste de la population. L’auteur nous rappelle que les élus « sont aussi irrationnels que l’opinion, c’est-à-dire soumis aux mêmes biais cognitifs que toute autre personne. [Alors qu’] Ils disposent toutefois de meilleures informations ». Or, par un processus descendant (top-down), ce sont pourtant eux qui écrivent la règle du jeu, avec une offre excédant la plupart du temps la demande de sécurité et un effet-cliquet d’autant plus irréversible que le régime concerné se sait, comme c’est le cas chez nous, assez peu redevable envers la nation.

François Thuillier

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