Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2024 de Politique étrangère (n° 2/2024). Thierry Vircoulon, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Ben Radley, Disrupted Devlopment in the Congo: The Fragile Foundations of the African Mining Consensus (Oxford University Press, 2024, 224 pages).

Adoptée en 2009 par l’Union africaine, la « Vision du régime minier de l’Afrique » prône l’industrialisation nationale par la valorisation du secteur minier grâce aux investissements de compagnies étrangères. Une stratégie largement inspirée par les travaux de la Banque mondiale encourageant l’ouverture du secteur minier aux investisseurs étrangers.

Cet ouvrage s’efforce de réfuter les avantages attribués à cette politique à partir de l’étude du secteur minier au Sud-Kivu et, plus particulièrement, la zone aurifère de Twangiza. D’après le consensus minier africain, le secteur doit être industrialisé pour enclencher une dynamique de développement. À l’inverse du secteur minier artisanal qui fait vivre probablement un million de personnes en République démocratique du Congo, l’industrialisation doit générer des recettes importantes et mettre fin au lien financier entre exploitation minière et groupes armés à l’est du Congo. Mais pour Ben Radley, les compagnies minières étrangères qui se sont succédé au Sud-Kivu (Compagnie minière des Grands Lacs, une société belge, puis Banro, société canadienne) ont échoué à stimuler le développement local et confirment l’économie d’enclave caractéristique de l’exploitation minière industrielle.

Les retombées positives de l’industrie minière – les salaires et la politique de contenu local – sont en fait trompeuses. Les salaires versés par Banro étaient très inégaux : substantiels pour le personnel expatrié et les cadres congolais, très faibles pour la main-d’œuvre de base. Or les cadres congolais étaient la plupart du temps des citadins étrangers au milieu local, qui investissaient donc leurs salaires ailleurs que dans la zone minière. Censée permettre une insertion de l’entreprise dans le tissu local, la politique de contenu local s’est révélée largement illusoire : les fournisseurs et sous-traitants de Banro étaient majoritairement étrangers. La limite de cette politique est en effet la capacité du milieu économique local à fournir les services et biens utilisés par l’entreprise minière.

Par ailleurs, l’histoire de Banro a été un échec cuisant : surendettée et attaquée par des milices armées, l’entreprise a dû vendre ses actifs congolais en 2019 et en 2021. Son échec remet en question la soi-disant bonne gestion des compagnies minières étrangères et souligne leur effet d’éviction conflictogène sur l’artisanat minier. Les creuseurs artisanaux évincés des zones aurifères ont nourri un fort ressentiment et il en est résulté plusieurs attaques de groupes armés contre l’entreprise.

Prenant le contre-pied du consensus minier africain, Ben Radley met en évidence que le Sud-Kivu est le lieu d’une lutte du capitalisme par le bas contre le capitalisme par le haut. L’artisanat minier n’est pas une simple activité de survie économique. Il évolue technologiquement vers une mécanisation rudimentaire, génère des revenus supérieurs aux revenus de l’agriculture et permet une accumulation du capital. Les intérêts locaux derrière l’artisanat minier s’enrichissent et réinvestissent leurs profits dans la mécanisation et dans d’autres secteurs de l’économie locale. L’artisanat minier incarne un capitalisme local à forte connotation ethnique (le gisement aurifère de Twangiza est contrôlé par les notables bashis) mais plus profitable pour les communautés locales que l’économie d’enclave des mines industrielles.

Thierry Vircoulon

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