Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2024 de Politique étrangère (n° 2/2024). Hans Stark, conseiller pour le Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Stefanie Babst, Sehenden Auges. Mut zum strategischen Kurswechsel (DTV Verlag, 2023, 288 pages).
Stefanie Babst, politologue, a été haut fonctionnaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) de 2006 à 2020 – Deputy Assistant Secretary General dans la Public Diplomacy Division, ce qui faisait d’elle la représentante allemande la plus haut placée au secrétariat général de l’OTAN. Elle est désormais consultante, avec des responsabilités au sein du présidium de la DGAP à Berlin.
Son ouvrage représente une critique fondamentale de la politique de sécurité et de défense de l’Allemagne avant le 24 février 2022. Dans le premier chapitre – « Aveuglement » –, elle regrette que l’Allemagne et les pays occidentaux n’aient pas eu le courage (et, selon elle, la perspicacité) de protéger l’Ukraine contre une invasion russe qui fut tout sauf une surprise et représente, toujours selon l’auteur, une attaque contre le mode de vie démocratique et parlementaire occidental.
Les deuxième et troisième chapitres – intitulés « Poutinisme » et « La Russie dans le monde » – présentent une analyse du régime et de la politique étrangère russes. Ils mettent surtout en évidence l’erreur stratégique allemande qui consistait, à partir d’une méconnaissance totale des réalités russes, à mettre en œuvre coûte que coûte – et au détriment des intérêts de l’Ukraine et des pays centre-européens – un partenariat économique et énergétique privilégié germano-russe. Sous les gouvernements Schröder et Merkel, Berlin aurait largement surestimé son potentiel d’influence en Russie, tout en ignorant la vision radicalement révisionniste de l’élite dirigeante russe. Pour Babst, l’Allemagne s’est montrée à la fois naïve et mercantiliste, sans la moindre compréhension des changements géopolitiques en cours.
Dans le quatrième chapitre, « Strategic Foresight », l’auteur réfute l’idée selon laquelle l’Allemagne ne pouvait pas savoir que la Russie allait attaquer l’Ukraine et que donc les dirigeants allemands auraient été pris au dépourvu. Pour elle, les Occidentaux disposaient de toutes les informations nécessaires pour se préparer à cette attaque et peut-être même pour l’endiguer à temps, notamment en investissant dans la défense. Ce que l’Allemagne n’a pas voulu faire, ignorant des réalités déplaisant aux responsables politiques. Une approche différente, centrée non sur les gains financiers à court terme mais sur les risques politiques de moyen et long termes, prenant au sérieux les prévisions stratégiques disponibles venant de sources qualifiées, aurait mieux préparé les Européens (et notamment les Allemands) au « changement d’époque ».
Stefanie Babst en tire les conséquences dans le dernier chapitre, « À la croisée des chemins ». Elle estime que Russie et Chine sont alliées pour renverser l’ordre politique international et plaide en faveur d’une politique d’endiguement (Roll Back Putinism) de la Russie, accompagnée d’un soutien politique et militaire conséquent de l’Ukraine. Elle estime que l’Allemagne doit investir massivement dans la défense (les 2 % du PIB devant être un plancher et non pas un plafond), afin de permettre à Berlin de regagner la confiance des Occidentaux et notamment des pays centre-européens, sacrifiés sur l’autel d’une politique pro-russe. Enfin, elle plaide pour une forte retenue quant aux relations économiques et commerciales avec la Chine, tout en critiquant le fait que l’Allemagne répète dans sa relation avec Pékin les erreurs commises avec Moscou.
Hans Stark
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