Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2024 de Politique étrangère (n° 3/2024). Jean-Louis Martin, chercheur associé au Programme Amériques de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Vera Chiodi et Philippe Roman, L’économie de l’Amérique latine (La Découverte, 2024, 128 pages).

Voici un ouvrage intéressant pour le lecteur souhaitant se constituer un socle d’informations sur les économies latino-américaines. En dépit de sa taille modeste, le livre donne une image claire de l’évolution et de la situation actuelle de la région. Un de ses aspects les plus originaux étant que, sur chaque aspect traité, les auteurs renvoient à des travaux plus théoriques, dont les références sont rassemblées dans une bibliographie. Dans la section « Le débat sur la persistance des effets des structures coloniales » (chapitre I), les analyses de différentes écoles de pensée (théoriciens de la dépendance, approche institutionnelle, effet des dotations en ressources naturelles…) sont, par exemple, brièvement exposées.
L’approche de Chiodi et Roman est délibérément et opportunément historique, de la colonisation à la reprimarisation des deux dernières décennies, en passant par les tentatives de modernisation et d’industrialisation, et par la crise de la dette des années 1980, chaque période ayant apporté sa contribution (positive mais souvent négative) aux structures et à la situation actuelles. Ce qui conduit à une première difficulté, compte tenu des différences dans les situations géographiques, dans les dotations en ressources naturelles, dans les populations et dans les histoires des pays de la région. La contrainte de taille de l’ouvrage interdit, au-delà des similitudes évidentes dans les modes de développement, l’analyse fine des divergences. Par exemple, pourquoi l’Uruguay, et dans une moindre mesure l’Argentine et le Chili, ont-ils essayé de mettre en œuvre (et dans le cas de l’Uruguay réussi) des réformes sociales à peine envisagées ou bien vite enterrées au Mexique, en Colombie ou au Pérou ?
L’exigence de synthèse régionale conduit aussi à passer rapidement sur les spécificités de l’insertion internationale du Mexique. Certes, les traités de libre-échange nord-américains n’ont pas permis de « convergence » avec ses partenaires du nord, et il est aussi exact de rappeler qu’ils se sont surtout traduits par une « externalisation de processus productifs par des multinationales », mais il semble très excessif de parler dans le cas du Mexique de « désindustrialisation prématurée » au même titre qu’au Brésil ou en Argentine.
Les auteurs consacrent avec raison un chapitre à la question des inégalités, un des fléaux de la région et peut-être indirectement la principale raison de la lenteur de son développement. On les trouvera pourtant bien optimistes. D’abord sur la réduction des inégalités pendant la décennie 2004-2012 – réelle mais dont il semble maintenant établi qu’elle tenait largement à une conjoncture très favorable. Ensuite sur l’impact des politiques de transferts monétaires conditionnels : si elles ont effectivement permis de réduire l’extrême pauvreté, les montants sont in fine modestes et elles ne résolvent en rien le problème de la vulnérabilité des classes moyennes inférieures, qui restent exposées au risque d’un retournement de conjoncture ou d’une alternance politique. On en revient aux contraintes d’économie politique, dont la principale manifestation, la faiblesse des États, est signalée à la section « Systèmes fiscaux et États-providence » du chapitre IV. Cette faiblesse est acceptée par des gouvernements qui restent largement dominés par les oligarchies locales pour qui « la reproduction sociale passe avant la production économique » (Alain Rouquié).
Jean-Louis Martin
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