Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2024 de Politique étrangère (n° 3/2024). Clément Therme propose une analyse de l’ouvrage de Narges Bajoghli, Vali Nasr, Djavad Salehi-Isfahani et Ali Vaez, How Sanctions Work: Iran and the Impact of Economic Warfare (Stanford University Press, 2024, 212 pages).
Le principal mérite de cet ouvrage est de présenter une vision « par le bas » (bottom-up) des sanctions en vigueur contre la République islamique d’Iran depuis l’émergence du nouveau régime. Les effets des sanctions sont donc envisagés au sein de la société iranienne (appauvrissement des classes moyennes et enrichissement des réseaux des Gardiens de la révolution), avec une attention particulière accordée aux effets non désirés des sanctions.
Les auteurs défendent une position politique critique vis-à-vis des décideurs de Washington, en leur prêtant l’intention d’affaiblir l’Iran et non exclusivement les autorités iraniennes. L’angle mort de cet argument est de confondre ce qui relève de l’Iran en tant que nation avec le seul système politique de la République islamique (nezam). Même si les auteurs mentionnent brièvement les stratégies de désinformation de Téhéran en Occident, ils accordent une attention insuffisante à la question des sanctions comme instrument de gouvernance de la République islamique elle-même.
Un autre point mérite attention : la surinterprétation du facteur « sanctions » dans les explications du déclenchement des manifestations populaires (2009, 2017-2018, 2019 et 2022) ou dans les dysfonctionnements économiques du pays. Il est ainsi très difficile de mesurer la part des sanctions dans les difficultés rencontrées par rapport à d’autres facteurs comme la corruption, la mauvaise gestion ou les choix économiques des décideurs iraniens.
Cette complexité dans l’évaluation des effets des sanctions est une réalité qui contribue à nuancer les conclusions des auteurs, lesquels ont, malgré la pertinence des récits des citoyens iraniens de l’intérieur du pays, une lecture trop souvent américano-centrée du sujet. Le prisme des sanctions est en effet une condition nécessaire mais non suffisante pour comprendre les dynamiques sociales internes du pays, la vie politique, les dynamiques macroéconomiques, les relations irano-américaines ou, plus largement, le positionnement international de l’Iran.
Les parties les plus intéressantes concernent la critique du discours officiel américain sur les objectifs politiques assignés aux sanctions. Il est évident que les objectifs affichés de démocratisation, de changement de la politique nucléaire ou de révision de la stratégie régionale de l’Iran n’ont pas été atteints après plus de quarante-cinq ans de sanctions. Les auteurs estiment que les sanctions ont, au contraire, renforcé la République islamique, affaibli et appauvri la majorité de la population iranienne et accentué la posture militariste de l’Iran face aux États-Unis et dans la région.
Une autre dimension soulignée par les auteurs concerne les effets systémiques des stratégies de contournement des sanctions, avec à terme un risque d’affaiblissement du dollar comme monnaie de référence dans les transactions internationales. Le cas iranien peut en effet servir d’élément de réflexion pour les stratégies russe ou chinoise de Washington : les sanctions en tant qu’outil politique ne permettent pas d’imposer un respect des normes juridiques américaines et encouragent plutôt des stratégies de résistance face à ce qui est perçu par les États sanctionnés comme une ambition « hégémonique » de Washington.
Clément Therme
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