Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Thierry Pairault propose une analyse de l’ouvrage de Xavier Aurégan, Chine, puissance africaine. Géopolitique des relations sino-africaines (Dunod, 2024, 272 pages).
Le livre de Xavier Aurégan n’est ni l’œuvre d’un spécialiste des relations internationales, ni celle d’un technicien de l’économie, ni celle d’un prosélyte. L’auteur est avant tout un géographe (et un cartographe) : au lieu de parler sentencieusement de « la Chine » et de « l’Afrique », il privilégie une approche à partir d’« acteurs territorialisés » et peut ainsi entreprendre une déconstruction de l’essentialisation, qui est la méthode servant le plus souvent à l’analyse des présences chinoises dans 53 pays africains (donc Eswatini exclu, car reconnaissant Taïwan) à l’histoire et aux conjonctures sociale, économique et politique différentes.
Conséquence immédiate : l’illustration du propos par de multiples cartes permettant une vision nuancée et pertinente des activités chinoises. Conséquence plus profonde : un décentrement de l’analyse. En ne se plaçant pas du point de vue unilatéral chinois, il s’agit bien de basculer de l’examen des relations sino-africaines à celui des relations afro-chinoises, et partant de scruter dans quelle mesure les interventions chinoises en territoire africain font « l’objet d’appropriation, de déroutage et de déformation, voire de prévarication de la part des acteurs africains ».
Xavier Aurégan adopte un découpage chronologique des relations sino-africaines pour structurer son livre. D’abord de 1949 à 1993, période qui serait le premier temps sino-africain, marqué notamment par un soutien aux mouvements nationalistes. Puis, de 1993 à 2013, ce seraient les « Trente Glorieuses » de la Chine en Afrique, avec le développement intense des relations économiques et commerciales. Enfin, de 2013 à aujourd’hui, ce serait le temps de Xi Jinping et de la stratégie des Nouvelles Routes de la soie. Cette périodisation a un grand avantage : elle est vue d’Afrique et permet de baliser la manière dont les Africains ont ressenti les présences chinoises. En d’autres termes, elle incite à considérer que « la Chine n’est, d’une certaine manière, qu’un acteur parmi d’autres ». Cette observation est pertinente et précieuse. Toutefois, il est une autre périodisation, recoupant en partie la précédente et prenant davantage en compte le point de vue chinois, qui permettrait sans doute de mieux expliquer les motivations ayant poussé la Chine à devenir une « puissance africaine » – autour de la crise qui a résulté du massacre de Tian’anmen en juin 1989, puis de celle, de plus en plus aiguë, de son modèle de développement à partir du début des années 2000. Cette autre périodisation permettrait de mieux s’interroger sur les raisons qui ont poussé la Chine à se confronter à une altérité qu’elle a souvent autant de mal à accepter qu’à comprendre.
Cette remarque nous amène au dernier chapitre de cet ouvrage, « La Chine dans le laboratoire africain ». L’Afrique et ses 54 visages ont été, depuis les années 1960, le laboratoire où la Chine a testé ses stratégies, ses initiatives, en tous domaines. Mais ce serait aussi, pour Xavier Aurégan, le lieu où la Chine de Xi Jinping voudrait expérimenter l’exportation de son système de « gouvernance à caractéristiques chinoises », afin que puisse s’imposer une nouvelle ère sinisée de la mondialisation. La question à laquelle l’auteur ne peut aujourd’hui répondre est de savoir si l’agencéité africaine retrouvée qu’il évoque servira de contre-feu, ou de boutefeu, à cette volonté chinoise de puissance.
Thierry Pairault
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