Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Benjamin Oudet propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Christophe Notin, DGSE. La fabrique des agents secrets (Tallandier, 2024, 336 pages).
Issu d’un documentaire, l’ouvrage s’ouvre par un entretien avec l’ancien directeur général de la DGSE, Bernard Émié qui, outre le panorama général des menaces internationales contemporaines, explique le sens de la réforme structurelle entreprise en 2022 et qui transforme l’organisation héritée du début des années 1990. D’un modèle à cinq directions (renseignement, opérations, technique, administration et stratégie) considérées comme trop cloisonnées, on comprend, à la lecture des témoignages, que trois directions (technique et innovation, recherche et opérations, administration) et un secrétariat général pour l’analyse et la stratégie sont désormais mis au service de sept centres de missions ayant vocation à produire le renseignement sur des thématiques ou des aires géographiques.
À la fois exercice de communication de la DGSE et corpus de témoignages précieux pour l’observateur, l’ouvrage a le grand mérite de proposer un panorama (complet ?) des métiers qui animent le cycle de renseignement, notamment en matière de contre-prolifération (deux officiers supérieurs, interprète image, analyste) et de contre-terrorisme (directeur, officier supérieur, linguiste-traducteur, interprète de données techniques). On signalera également le témoignage particulièrement instructif d’un chef de poste à l’étranger – une dimension encore peu connue des études sur le renseignement. Enfin, une dernière séquence est consacrée aux activités de la direction de la recherche et des opérations, à travers le témoignage de son directeur, d’agents du service action, d’experts en renseignement humain et d’un ingénieur en système embarqué.
Chacun sera juge de la réussite de l’exercice de communication et de la richesse des témoignages, tous organisés selon la même trame : conditions et circonstances du recrutement, premières impressions, formations, questions thématiques ciblées en fonction de l’interlocuteur. Cette trame permet de comparer les motifs avancés par certains agents quant à leur volonté de rejoindre la DGSE, mais aussi d’appréhender l’enjeu des parcours de carrière, de la fidélisation, des contraintes inhérentes au respect du secret de la défense nationale, etc.
Indépendamment des considérations thématiques ou professionnelles avancées par les interviewés, il se dégage des entretiens une « tonalité » spécifique propre à la dialectique de la normalité et de l’exception telle qu’a pu l’identifier un ouvrage savant récemment publié (B. Guillaumin, L’appareil français de renseignement. Une administration ordinaire aux attributs extraordinaires, Paris, Mare & Martin, 2024). C’est là sans doute l’élément le plus frappant : point ici de références appuyées aux dimensions fictionnelles éculées pointant vers le renseignement comme activité trépidante et picaresque. Au contraire, il se dégage de la lecture une intéressante sensation de normalité, de procédures, de contrôles, aux antipodes de toute vision romanesque du renseignement. Au fond, cette tonalité résonne comme la traduction, incarnée dans les entretiens, du discours entretenu depuis une dizaine d’années par les autorités françaises sur le renseignement comme politique publique « comme les autres ». L’ouvrage trouvera ainsi utilement sa place dans la bibliothèque idéale de la culture générale du renseignement et comme lecture pour celles et ceux qu’intéresse la « sociologie de l’équipe clandestine » (Dewerpe, 1994).
Benjamin Oudet
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