Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Matthias Thiemann, Taming the Cycles of Finance? Central Banks and the Macro-prudential Shift in Financial Regulation (Cambridge University Press, 2024, 352 pages).

Matthias Thiemann est professeur associé de politique publique européenne à Sciences Po Paris. Dans cet ouvrage qui est le fruit de plusieurs années de réflexion et d’interviews de banquiers centraux et d’économistes, il analyse l’évolution des politiques macroprudentielles (PMP) aux États-Unis, en Europe et au Royaume-Uni. Les PMP regroupent l’ensemble des outils permettant aux banques centrales et autorités de régulation de surveiller et de prévenir les risques systémiques susceptibles de se manifester au sein du secteur bancaire, de la finance de l’ombre (shadow banking) et des marchés financiers.
Le développement des PMP s’est accompli de façon chaotique et incrémentale. Elles trouvent leur origine dans les travaux menés par Charles Kindleberger et Hyman Minsky dans les décennies 1970 et 1980. Les deux économistes avaient compris que les cycles d’endettement engendraient une mauvaise allocation des ressources financières. Pour remédier à ce problème, ils avaient insisté sur le rôle que les régulateurs financiers pouvaient jouer en intervenant préventivement pour empêcher les crises. Délaissées durant les premières années de globalisation, leurs analyses ont connu un regain d’intérêt à la suite de la crise asiatique de 1997-1998.
C’est d’abord sous l’égide de la Banque des règlements internationaux que les premières PMP sont élaborées. La faillite de Lehman Brothers en 2008 sert de véritable catalyseur et incite les banques centrales et les autorités de régulation des États du G20 à redoubler d’efforts en matière de recherche économique, afin de déterminer quels outils sont les mieux adaptés pour contenir le risque systémique. On assiste alors à des débats acharnés dans les banques centrales et les milieux académiques. Par exemple, certains économistes (souvent défenseurs de l’hypothèse des marchés financiers efficients) considèrent que toute mesure macroprudentielle doit reposer sur des études empiriques poussées, elles-mêmes fondées sur des bases de données conséquentes. Pour d’autres chercheurs, cette approche est stérile car elle ralentit l’action des régulateurs.
Fondamentalement, deux conceptions des PMP se font face : d’un côté celle qui privilégie la résilience du système financier ; de l’autre celle qui plébiscite les mesures contracycliques en période de hausse des indices boursiers. Force est de constater que ce sont les partisans de la première conception qui se sont imposés, comme l’atteste le recours régulier à des stress tests pour mesurer la solidité des banques face à une crise. Des ratios ont également été mis en place pour encadrer la prise de risque des établissements financiers (en particulier concernant leur liquidité et leur endettement).
Matthias Thiemann montre que l’élaboration et l’instauration des PMP ont provoqué des luttes de pouvoir au sein des banques centrales, entre entités de régulation et entre gouvernements. Les États-Unis se sont ainsi souvent alignés sur les intérêts de l’industrie de la finance. Plus globalement, Américains et Européens ont échoué à superviser l’activité de shadow banking : voilà qui est particulièrement inquiétant pour la stabilité financière mondiale à moyen terme.
Norbert Gaillard
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