Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2024 de Politique étrangère (n° 4/2024). Dominique David, rédacteur en chef de la revue, propose une analyse de l’ouvrage de Michel Foucher, Conseiller le prince. À la lumière de la géographie politique (L’Aube, 2024, 296 pages).

Michel Foucher nous embarque pour une promenade dans les grandes crises du monde, avec une boussole – la géographie politique –, sur un chemin balisé par des décennies d’expérience, universitaire et politique.

Il s’attache d’abord à cerner l’émergence (devenue impérialiste) de la notion de géopolitique, à laquelle il préfère celle de géographie politique. Il s’agit bien de réunir dans une même approche intellectuelle : des visions politiques du monde, des pratiques interétatiques et des méthodes d’analyse des situations – le tout dans des logiques cartographiables, s’inscrivant concrètement dans l’espace.

On retiendra particulièrement les analyses de Michel Foucher sur les diverses dimensions du continent européen et sur les crises du sud de la Méditerranée et du Proche-Orient.

L’auteur suit de manière très pertinente la réincarnation de la « confédération » proposée au début des années 1990 par François Mitterrand en Communauté politique européenne. Les deux propositions diffèrent en particulier par la présence ou l’absence de la Russie, mais elles expriment pour Foucher une même réalité : la diversité des espaces européens, même intégrés dans des logiques de coopérations.

En définitive, la question est bien celle des limites d’une Europe formée de nations qui, par elles-mêmes, définissent l’espace possible de l’exercice démocratique. On trouvera l’auteur optimiste, ou aventuré, lorsqu’il explique que les limites de l’Europe ont été clarifiées par l’agression russe contre l’Ukraine : une Europe définie par antiphrase, regroupant tout ce qui n’est pas « moscovite », et donc imperméable à toute évolution de l’histoire à venir ? On ne pourra, par contre, qu’approuver la vision de Michel Foucher d’un élargissement de l’Union européenne souple, progressif, différencié, rendant justice à la diversité géographique et politique du continent.

Le monde arabe et le Proche-Orient sont l’objet de développements très convaincants, à la fois méthodologiquement et politiquement. L’État palestinien n’existe que comme concept, la solution « à deux États » que comme représentation : elle est in-cartographiable, impossible à inscrire dans l’espace, du fait des stratégies israéliennes de colonisation – décrites très précisément dans leur redoutable diversité – et de l’impuissance palestinienne à représenter concrètement le territoire à contrôler. La situation sur le terrain disqualifiant nombre de discours politiques – même de bonne volonté…

Michel Foucher démonte également à la fois l’idée de « nation arabe » – les révolutions de 2011 se sont faites sur des références nationales – et celle d’une recomposition de la région – fantasme américain du début du siècle –, ignorant l’héritage d’États qui ne doivent pas tout, contrairement à une idée répandue, au caprice des anciens colonisateurs.

On pourra être moins convaincu par les développements sur l’influence. Si l’auteur a raison de mettre en avant le concept de « référence », qui convient bien à la France, à sa capacité d’invention conceptuelle et à son image de modèle, la confrontation avec la réalité des crises d’aujourd’hui est cruelle : puissance dite d’« influence », ou d’équilibres, la France ne pèse guère aujourd’hui dans les grandes crises qui entourent l’Europe – face à la Russie, entre Israël et les Palestiniens, au Sahel et bientôt en Afrique de l’Ouest.

Les réflexions de Michel Foucher nous confrontent à la double exigence de penser les crises et de les gérer, sous le signe de Jankélévitch, qu’il cite en conclusion : « Le courage n’est pas un savoir mais une décision. »

Dominique David

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