Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2025 de Politique étrangère (n° 1/2025). Adrien Gorremans, officier inséré de l’armée de l’Air et de l’Espace au sein du Laboratoire de recherche sur la défense (LRD) de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Dag Henriksen et Justin Bronk, The Air War in Ukraine: The First Year of Conflict (Routledge, 2024, 252 pages).

Codirigé par le lieutenant-colonel Dag Henriksen, directeur de la recherche de l’Académie de l’air royale norvégienne, et Justin Bronk, du Royal United Services Institute (RUSI), cet ouvrage est probablement la meilleure analyse à ce jour de la dimension aérienne de la guerre russo-ukrainienne.

En ouverture, Michael Kofman rappelle les quatre grandes phases de la première année de la guerre : de la bataille pour Kiev à l’offensive russe dans le Donbass, puis la contre-offensive ukrainienne à Kharkiv et à Kherson, et enfin le début de la guerre d’attrition avec une focalisation sur Bakhmout.

Sean Wiswesser décrit la subordination de la planification opérationnelle des forces russes aux organes de sécurité du Kremlin, qui ont conçu l’invasion de l’Ukraine comme un coup de main hybride sans prévoir la résistance ukrainienne, et détaille le concept opérationnel des forces aérospatiales russes (VKS) et leurs doctrines : les VKS n’étaient ni conçues ni préparées pour les opérations aériennes offensives qu’elles ont été contraintes de mener.

Jack Watling analyse les frappes dans la profondeur, s’appuyant sur les concepts opérationnels russes de guerre sans contact et de complexe reconnaissance-frappe. Il explique les modes d’action et le ciblage des deux belligérants, faisant le lien entre efficacité des frappes, disponibilité des munitions et qualité du renseignement. Il en conclut que les frappes dans la profondeur sont un signe de faiblesse et un substitut à la puissance aérienne.

Son collègue du RUSI Nick Reynolds prend l’échec russe sur l’aéroport d’Hostomel comme point de départ pour étudier l’avenir des assauts aéroportés et aéromobiles dans un contexte de durcissement et de dissémination des défenses sol-air à courte portée.

Guy Plopsky et Justin Bronk enchaînent sur une synthèse des infructueux efforts russes de neutralisation des défenses aériennes adverses (SEAD). Ils décrivent les insuffisances humaines, matérielles et doctrinales des VKS en la matière, qui expliquent leur incapacité à installer une supériorité aérienne au-dessus de l’Ukraine au début de l’invasion.

Justin Bronk revient ensuite sur le rôle central des défenses sol-air, qui ont installé, à partir de mars 2022, une situation de déni aérien mutuel. Il décrit les évolutions du combat entre défenses sol-air et missiles antiradars au cours de 2022, et insiste sur la criticité des missiles surface-air ukrainiens face aux frappes russes dans la profondeur.

Samuel Bendett et Leonid Nersisyan analysent dans un dernier chapitre la guerre des drones dans une approche par catégorie : des drones militaires traditionnels aux drones civils militarisés, en passant par les munitions téléopérées. Notant la prépondérance des dérivés de produits chinois dans les deux camps, ils relèvent la transformation majeure du champ de bataille terrestre et aérien par cette masse de capteurs et d’armements « dronisés ».

En conclusion, Dag Henriksen constate que les principaux enseignements opérationnels de la guerre aérienne d’Ukraine ne sont pas des surprises : comprendre la nature de la guerre que l’on mène, acquérir rapidement la supériorité aérienne, notamment avec une SEAD robuste, intégrer la « dronisation » et l’émergence de l’Intelligence artificielle et, surtout, ne pas oublier les principes stratégiques en poursuivant l’excellence technologique. En somme, il s’agit là d’un livre indispensable pour comprendre la guerre aérienne moderne.

Adrien Gorremans

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