Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2025 de Politique étrangère (n° 1/2025). Christian Lechervy propose une analyse de l’ouvrage de Bertil Lintner, The Golden Land Ablaze: Coups, Insurgents, and the State in Myanmar (Hurst, 2024, 280 pages).

Le journaliste suédois Bertil Lintner est depuis plusieurs décennies un observateur assidu de la scène politique birmane. Bien qu’installé en Thaïlande, il s’est consacré à décrypter en détail la politique intérieure du pays voisin. Multipliant les visites, il est devenu un observateur et un analyste méticuleux des évolutions des régimes politico-militaires qui se sont succédé depuis 1988.
Sa fréquentation des cadres des insurrections ethniques, notamment aux confins de la Chine et de la Thaïlande, lui a donné une connaissance sans égale des groupes armés, de leurs doctrines et des postures de Naypyidaw. Ce huitième ouvrage consacré à son pays de prédilection s’en ressent profondément : il est une fine étude des événements passés et des dynamiques politiques qui ont précédé et suivi le coup d’État militaire de février 2021.
Fort de son expérience, Bertil Lintner n’a pas voulu rendre compte de ce qu’est devenue la Birmanie sous la férule du Conseil d’administration de l’État (SAC). Il a rédigé un livre qui tente d’expliquer pourquoi les militaires ont réussi à s’installer durablement au pouvoir. Plutôt que de dénoncer leur mainmise brutale, sanglante, sur les institutions et les ressources, le chroniqueur s’est employé à comprendre, sans exonérer les généraux de leurs responsabilités dans les violences et la mauvaise gestion de l’État.
L’analyste n’a pas conté l’histoire de la Birmanie au fil du temps mais au travers de quatre acteurs centraux : les militaires, les groupes ethniques, la Chine et des figures politiques civiles marquantes. Afin de signifier qu’ils sont les facteurs explicatifs de la situation présente, les chapitres clés ont été encadrés par un texte sur le putsch de 2021 et par un autre sur les perspectives de la révolution de printemps. Au total, un essai instructif et très documenté. La cinquantaine de feuillets de notes de bas de page, de références éditoriales et d’index sont là pour en témoigner.
Toutefois, sur le plan analytique, il n’est pas pleinement rendu compte d’en quoi le SAC diffère des gouvernements militaires précédents. Le manuscrit aurait mérité d’être agrémenté de cartes. Un outil bien utile pour saisir l’évolution spatiale des combats entre le pouvoir central et les groupes ethniques armés, leurs reformulations ces dernières années du fait de l’émergence des Forces de défense du peuple et leur alliance avec les acteurs ethniques. La géographie de la guerre civile est mouvante, mais il est essentiel de voir qu’à l’heure où l’auteur mit la dernière main à son ouvrage la junte maîtrisait moins de la moitié du territoire national. Une infographie bien pensée aurait eu également le mérite de mettre en évidence l’ampleur du drame humanitaire qui secoue la nation.
Ces limites n’altèrent pas la qualité de la recherche. Elle interpellera d’ailleurs ceux qui voient dans la loi de 1982 un outil construit pour retirer la citoyenneté aux seuls Rohingyas, ou qui ont cru au récit politique d’une « transition vers la démocratie » de 2010 à 2020. Un tel objectif n’a jamais été celui des chefs de l’armée. C’est pourquoi, sous la conduite du général Min Aung Hlaing, ils se sont réemparés de tous les pouvoirs depuis 2021. Pour le malheur de leurs concitoyens, ils n’ont pas saisi la transformation radicale de la société en à peine une décennie ; une révolution sociale qui appelle d’autres recherches et d’autres ouvrages.
Christian Lechervy
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