Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2025 de Politique étrangère (n° 1/2025). Jeanette Suess, chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Guillaume Sacriste, Le Parlement européen contre la démocratie ? (Presses de Sciences Po, 2024, 236 pages).

Guillaume Sacriste soutient ici que, malgré sa montée en puissance institutionnelle, le Parlement européen (PE) n’a pas réussi à imposer son contrôle et sa légitimité démocratique. Il souligne une asymétrie persistante entre le PE et le Conseil de l’UE, qui détient un rôle prépondérant dans le processus législatif. À quoi s’ajoute le rôle du Conseil européen regroupant les chefs d’État et de gouvernement, acteurs clés de la prise de décision européenne.

Le pouvoir budgétaire du PE reste limité même s’il faut reconnaître qu’il a progressé au fil des années. Sur le plan budgétaire, le PE n’a pas de compétence fiscale, et ses réactions face à différentes crises confirment un déficit de crédibilité : difficulté à défendre la mise en place d’eurobonds au lieu du Mécanisme européen de stabilité financière pendant la crise de la zone euro, ou le plan de relance Next Generation EU pendant la crise du Covid-19.

L’auteur critique la marginalisation des parlements nationaux dans le processus décisionnel européen. Afin de renforcer la légitimité démocratique de l’UE et d’éviter son décrochage économique par rapport à la Chine et aux États-Unis, il plaide pour la création d’une seconde assemblée transnationale, qui serait composée de parlementaires nationaux et dotée de compétences budgétaires et fiscales. L’auteur part du principe qu’une telle assemblée pourrait engager des investissements massifs en dotant l’UE d’un budget conséquent. Mais un tel changement institutionnel ne risquerait-il pas de diluer encore le pouvoir du PE en renforçant la nature intergouvernementale, plutôt que transnationale, de la gouvernance européenne ?

De plus, compte tenu de la composition politique actuelle des parlements nationaux, qui penchent de plus en plus vers une droite extrême, reflétant ce que l’auteur qualifie de « dissensus contraignant », cette assemblée serait-elle vraiment favorable à l’adoption d’un budget européen propre, et significatif en termes de montant ? Comme le souligne Sacriste lui-même, « l’histoire du PE consiste […] en un processus fragile, dynamique, d’extension progressive de compétences et de pouvoirs initialement embryonnaires ». Il faudrait donc du temps pour que le PE devienne une véritable chambre démocratique de l’UE, une vision portée par les forces fédéralistes, notamment le groupe Spinelli. L’auteur critique d’ailleurs vivement la démarche de ce groupe, qu’il perçoit comme une tentative d’imposer une « doctrine ».

Ce scepticisme reflète une certaine réticence française vis-à-vis du fédéralisme européen. Mais ne faut-il pas reconnaître les avancées impulsées par les fédéralistes : adoption de la procédure législative à la majorité qualifiée, renforcement du contrôle sur la Commission européenne, adoption de résolutions et revendications pour les listes transnationales ? L’auteur a cependant raison de rappeler les échecs répétés sur des dossiers clés, comme les ressources propres ou la révision des traités institutionnels depuis le traité de Lisbonne.

Le livre de Guillaume Sacriste ouvre un débat passionnant, richement documenté et controversé sur la question de la légitimité des institutions européennes. Il met en lumière les limites d’une européanisation « hybride » et « nationalisée » de l’espace européen commun, suscitant une réflexion nécessaire sur l’avenir de l’Union.

Jeanette Suess

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