Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2025 de Politique étrangère (n° 1/2025). Elisa Domingues Dos Santos, chercheuse associée au Programme Turquie/Moyen-Orient de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Elem Eyrice Tepecikliog˘lu, Francois Vreÿ et Bahar Baser, Turkey’s Pivot to the African Continent: Strategics Crossroads (Routledge, 2024, 136 pages).

Cet ouvrage collectif propose un état des activités de la Turquie sur le continent africain depuis le début du siècle, en se fixant pour objectif de combler les insuffisances de la littérature scientifique sur le sujet.
Les contributions s’organisent autour de sept chapitres issus d’articles précédemment publiés dans le Journal of Balkan and Near Eastern Studies (vol. 26, no 3, 2024). Ils retracent la diversité des engagements de la Turquie sur le continent mais peinent à suivre un fil conducteur problématisé, mise à part une volonté d’étudier l’évolution du paradigme de politique étrangère de la Turquie.
L’exploration d’un tournant vers le hard power à partir de 2016 reste la question de recherche la plus formulée. L’analyse « macro » qui domine l’ouvrage ne présente pas d’originalité particulière. Un précédent ouvrage, également paru chez Routledge en 2021 et en partie dirigé par Elem Eyrice Tepeciklioflu, dressait déjà un tableau assez exhaustif des activités de la Turquie – prise comme acteur principal et homogène – à l’échelle du continent africain.
Dans le premier chapitre, qui fait office de réelle introduction, Federico Donelli et Brendon J. Cannon livrent une analyse croisée de la politique d’ouverture à l’Afrique de la Turquie, à partir de l’évolution de sa conception de sa position sur la scène régionale et internationale : l’Afrique s’intègre dans une doctrine générale de politique étrangère. S’ensuivent six entrées plus thématiques, à l’exception d’une proposition de Jens Heibach et Hakkı Taş qui aborde la politique africaine de la Turquie en termes de contrôle des ressources de pouvoir. Elles offrent un bilan actualisé de la présence de la Turquie dans différents secteurs (humanitaire, défense, diplomatique principalement).
Le chapitre 4 sur la traduction des intérêts maritimes de la Turquie en Afrique propose l’entrée la plus inédite, tandis que le chapitre 6 sur la diplomatie de défense ouvre une approche plus neuve puisqu’il propose d’analyser les accords de défense et de ventes d’armement davantage du point de vue des besoins industriels de la Turquie que de celui d’une stratégie sécuritaire à proprement parler. On regrette toutefois que les risques, notamment en termes d’image, de cette évolution de paradigme ne soient pas explorés. Autre lacune : la redéfinition des pratiques de la Turquie en Afrique à partir de 2016, à la suite de la purge du mouvement religieux Gülen, n’est pas abordée. L’État turc s’était largement appuyé sur les réseaux établis par la confrérie depuis les années 1990 pour mettre en œuvre sa politique d’ouverture. Dans ses partenariats africains, plus encore peut-être que l’investissement dans le secteur de la sécurité et de la défense, le remplacement des réseaux de la confrérie par l’État turc constitue un changement prépondérant, dont les conséquences sont encore peu étudiées.
Par son approche globalement descriptive, l’ouvrage sera utile à toute personne qui s’intéresse à la politique étrangère de la Turquie et cherche des données à jour sur sa présence en Afrique. Il dessine toutefois peu de nouvelles perspectives de recherche sur ce sujet, ce qui demanderait davantage d’études de cas par pays, pour développer une analyse comparée, et d’intégrer la perception et la réception de cette politique par les partenaires africains.
Elisa Domingues Dos Santos
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