Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2025 de Politique étrangère (n° 1/2025). Sina Schlimmer, anciennement chercheuse au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Claire Mercer, The Suburban Frontier: Middle-Class Construction in Dar-es-Salam (University of California Press, 2024, 220 pages).

Les villes d’Afrique ne sont pas seulement faites de routes, de bâtiments et de projets d’infrastructures d’envergure pensés par les décideurs des secteurs public et privé, mais d’abord le produit des idées, besoins et ambitions de leurs habitants, de groupes sociaux multiples.

L’auteure s’est donnée pour tâche d’étudier les liens entre deux moteurs clés de la transformation du continent africain : une urbanisation rapide et la transformation des classes sociales. Elle observe les pratiques quotidiennes des citadins qui ont fait le pari d’acquérir du foncier, de construire une demeure et de déplacer au moins une partie de leurs activités du centre vers la périphérie de la ville. Comme cas d’étude, elle utilise Salasala, banlieue située au nord de Dar es Salaam, capitale économique de la Tanzanie.

L’ouvrage met à jour les travaux qui ont contribué à l’engouement autour de la question de l’existence d’une classe moyenne en Afrique. Le niveau des revenus et les taux de pauvreté s’étant avérés être des indicateurs insuffisants, Claire Mercer emprunte ses variables aux études de l’aménagement urbain et de l’architecture : la classe moyenne tanzanienne se distingue d’autres classes sociales en sécurisant l’accès au foncier abordable dans la zone périurbaine, en délimitant la parcelle acquise et en bâtissant avec des matériaux et selon des styles nouveaux.

Ainsi la classe moyenne se construit-elle en construisant la ville. L’apport du livre aux études urbaines est double : d’une part, il déplace la focale du centre vers les périphéries urbaines qui se densifient et se transforment à un rythme galopant, d’autre part – et c’est sa grande originalité –, il donne un visage humain à l’extension rapide et horizontale des villes africaines, que les rapports d’experts ont tant soulignée. Il met la lumière sur des choix de vie, des stratégies d’épargne et d’investissement, des goûts architecturaux, ou encore des modes de consommation.

L’ouvrage s’ouvre sur la construction d’un cadre analytique robuste, combinant les études urbaines, la sociologie des classes sociales et l’histoire des régimes colonisés. L’introduction et les deux premiers chapitres posent également le contexte historique et politique : la succession de périodes coloniales (allemande puis britannique), puis un régime postcolonial socialiste ont influencé la compréhension des classes sociales en Tanzanie, tout en façonnant les politiques d’aménagement et le droit foncier. Dans les chapitres 3 à 6, l’auteure conduit des analyses plus micro en suivant les parcours périurbains de plusieurs habitants de Salasala, des difficultés pour sécuriser la parcelle aux choix de décoration intérieure, si caractéristiques de la classe moyenne périurbaine.

On s’étonnera du glissement vers un ton plus descriptif, qui donne l’impression d’une relative déconnexion dans les quatre derniers chapitres de la première partie. L’ouvrage de Claire Mercer reste cependant une référence incontournable pour les chercheurs, experts et décideurs qui souhaitent mieux comprendre et anticiper les dynamiques d’urbanisation sur le continent africain. Si les travaux sur les villes d’Afrique soulignent la non-pertinence des modèles urbanistiques importés par les administrations coloniales et calqués sur l’urbanisme occidental, cet ouvrage met en lumière des modes de fabrique de la ville qui fonctionnent pour des acteurs qui sont les premiers concernés.

Sina Schlimmer

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