Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2025 de Politique étrangère (n° 1/2025). Gauthier Mouton propose une analyse de l’ouvrage de Pascale Massot, China’s Vulnerability Paradox: How the World’s Largest Consumer Transformed Global Commodity Markets (Oxford University Press, 2024, 312 pages).

Au rythme d’une croissance du produit intérieur brut dépassant 10 % entre 2003 et 2007, le miracle économique chinois s’est accompagné pour le pays d’une dépendance accrue aux matières premières. Alors qu’en 1995, la Chine ne représentait que 7 % de la consommation mondiale de métaux clés (aluminium, cuivre, nickel, entre autres), ce chiffre atteignait 69 % en 2020. Dans son ouvrage, Pascale Massot explore le paradoxe lié à la vulnérabilité structurelle de la République populaire de Chine (RPC) : le pays doit répondre à près de la moitié de ses besoins en ressources stratégiques par des importations.
Quatre études de cas (fer, potasse, uranium et cuivre) illustrent les défis auxquels la Chine fait face dans des marchés mondialisés. Ses vulnérabilités tiennent notamment à une consommation intérieure galopante et à une intégration tardive de la RPC dans le commerce global de certaines ressources, hormis l’uranium. À cela s’ajoute, selon l’auteure, une « vulnérabilité liée au pouvoir du marché » (power market vulnerability), à savoir une faiblesse issue de facteurs internes (fragmentation des marchés nationaux, luttes bureaucratiques) et externes (structures institutionnelles mondiales, régimes de prix). Le cas du fer, matière première pour fabriquer de l’acier, est emblématique : pour réduire sa dépendance et renforcer son contrôle sur les ressources, Pékin a créé en 2022 le China Mineral Resources Group.
Solidement ancré dans la géoéconomie, l’ouvrage repose sur une méthode empirique, avec plus de 160 entretiens (industriels, fonctionnaires, experts). Les lecteurs les plus avertis, spécifiquement les sinologues, apprécieront l’importante mobilisation de sources primaires en chinois tels que des documents du Conseil d’État, de différents ministères ou encore des rapports appuyant les données quantitatives de l’ouvrage. Le volume substantiel de statistiques, traduites dans des graphiques (23 au total), permet à Pascale Massot de développer avec brio une analyse longitudinale des interactions entre les marchés chinois et internationaux, appliquée aux quatre cas d’étude. Cette perspective du temps long constitue l’un des points forts de l’ouvrage, éclairant la dépendance chinoise aux importations de ressources stratégiques depuis la fin du XXe siècle.
La structure pédagogique du livre constitue aussi un avantage indéniable. Les deux premiers chapitres définissent le cadre théorique et méthodologique, précisant les critères de sélection des cas d’étude, puis les chapitres 4 et 5 analysent en détail les vulnérabilités de la Chine dans les marchés du fer et de la potasse (essentielle pour les engrais). Enfin, le chapitre 6 traite des secteurs du cuivre et de l’uranium, avec en arrière-plan la stratégie nucléaire civile de la RPC.
L’apport majeur de l’ouvrage tient à sa critique de l’idée que les marchés mondiaux étaient déjà libéralisés lors de l’essor économique de la Chine. À contre-courant de très nombreux travaux associant l’économie chinoise à la doctrine illibérale, Pascale Massot montre que la Chine a parfois favorisé la libéralisation de certains marchés, comme ceux du minerai de fer et de la potasse, autrefois concentrés et régis par des institutions de fixation des prix. L’ouvrage offre ainsi une lecture inédite du rôle disruptif de la Chine dans la reconfiguration du marché global des ressources.
Gauthier Mouton
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