Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2025 de Politique étrangère (n° 1/2025). Diana-Paula Gherasim, chercheuse au Centre énergie et climat de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Gerard Toal, Oceans Rise Empires Fall: How Geopolitics Hasten Climate Catastrophe (Oxford University Press, 2024, 280 pages).

Si certains comptent sur la compétition industrielle et technologique entre les grandes puissances et sur la redéfinition de la transition énergétique comme question de sécurité nationale pour faire avancer la cause du climat, Gerard Toal ne voit là qu’un piège qui enferme le climat dans des logiques non coopératives, d’exploitation insoutenable de la planète et même d’accélération de l’urgence climatique. La « geopoliticization » du climat cache la vérité ultime : sans table de jeu (la planète), nul jeu (de puissances) possible.

L’ouvrage fait une incursion dans l’histoire et la pensée de la géopolitique, pour éclairer son attachement à la notion d’État, notamment dans sa dimension territoriale, mais aussi l’emploi de son langage et de ses logiques compétitives afin de justifier des projets expansionnistes ou interventionnistes, et finalement la progressive banalisation du terme devenu aujourd’hui synonyme d’affaires internationales, de pensée stratégique autour des manifestations de puissance et du jeu d’intérêts nationaux sur la scène internationale.

Selon l’auteur, la géopolitique serait responsable de plusieurs biais de conception et d’action dans le domaine du changement climatique, notamment de l’incapacité à concevoir le territoire comme un espace planétaire partagé, à prioriser les intérêts de la planète sur les intérêts étatiques, à remplacer les logiques de compétition et de croissance par des logiques de coopération et de préservation de l’environnement, en dépit des conséquences toujours plus visibles du changement climatique. Gerard Toal voit la redéfinition des politiques climatiques comme un outil de confrontation technologique et industrielle entre les grandes puissances, dans le cadre des nouvelles politiques industrielles privilégiant les technologies bas carbone, comme un risque supplémentaire menant au gaspillage de ressources et du précieux temps d’action, avec pour résultat la « duplication technologique » et l’érosion de l’action collective pour le climat.

L’ouvrage n’explore pas dans quelle mesure la « geopoliticization » de la transition énergétique et de la lutte contre le changement climatique a pu, ou pourrait être menée de sorte à, amplifier l’action pour le climat, et notamment comment la redéfinition des intérêts nationaux, de sécurité des États, pourrait conduire à de nouvelles coalitions d’action, à une nouvelle gouvernance mondiale et à des politiques plus incisives et efficientes pour l’environnement. Prendre la vision géopolitique pour principal responsable de l’échec de l’action collective en faveur du climat, n’est-ce pas occulter l’importance des comportements individuels et des sociétés, des usages de l’énergie, des actions des industries polluantes pour décrédibiliser la science du changement climatique, ou bien la gouvernance par les indicateurs économiques purement quantitatifs ?

Le livre de Gerard Toal devrait néanmoins interpeller les analystes géopolitiques quant à leur responsabilité dans le façonnement du narratif sur les politiques climatiques nationales et internationales, et les inciter à se pencher davantage sur la recherche des logiques de coopération face à la menace existentielle de la destruction planétaire, laquelle pourrait bien finir par éradiquer le terrain de jeu de la géopolitique : la planète.

Diana-Paula Gherasim

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