Cette recension a été publiée dans le numéro d‘été 2025 de Politique étrangère (n° 2/2025). Thibault Muzergues propose une analyse de l’ouvrage de Tom Theuns, Protecting Democracy in Europe: Pluralism, Autocracy and the Future of the EU (Hurst, 2024, 336 pages).

Comment lutter contre l’érosion démocratique et la progression de l’autoritarisme au sein même de l’Union européenne (UE) ?
Même s’il revient dans sa première partie sur l’érosion des normes démocratiques dans certains pays de l’Union – en particulier en Pologne sous le PiS, et surtout la Hongrie du Fidesz –, les insuffisances nationales de ces pays ne constituent pas le thème central du livre : il s’agit plutôt ici d’explorer les failles de l’UE qui, en dépit de l’engagement clair des traités pour le maintien de l’état de droit et de la démocratie, a été impuissante à arrêter les tendances autocratiques des gouvernements en question.
Theuns considère que cette impuissance de l’Europe est principalement due à deux facteurs : le « fatalisme de l’appartenance » et la dépolitisation de la question démocratique dans l’UE des années 2000. À cela s’ajoute une inadéquation des instruments à disposition des institutions européennes pour faire rentrer dans le droit chemin les États membres tentés par un autoritarisme croissant. À ce titre, l’auteur souligne avec raison que le jeu bruxellois consistant à pointer tel ou tel acteur (et notamment le Parti populaire européen) pour avoir protégé trop longtemps Viktor Orbán alors que celui-ci détruisait les bases de l’état de droit en Hongrie est hypocrite, dans la mesure où la complicité avec le recul démocratique en Hongrie et (dans une moindre mesure) en Pologne est beaucoup plus vaste, et inclut la plupart des institutions européennes, notamment la Commission et le Conseil. La première n’a pas eu le courage d’utiliser tous les instruments à sa disposition pour rappeler la Hongrie à l’ordre ; le second a pris prétexte de la protection de la souveraineté pour rester trop longtemps inactif face aux attaques anti-démocratiques du gouvernement hongrois.
Il n’est pourtant jamais trop tard pour bien faire, en particulier quand les autocrates cherchent à exporter leur modèle dans d’autres pays de l’Union. Theuns souligne à juste titre que, depuis le début de la crise du Covid-19, les institutions européennes ont développé plus d’outils, notamment financiers, pour « punir » les États qui ne respecteraient pas les règles du jeu démocratiques – avec un certain succès en Pologne mais un résultat beaucoup plus mitigé en Hongrie, où l’érosion démocratique est plus avancée.
L’auteur appelle donc les institutions (y compris les partis politiques) à utiliser avec plus d’audace les outils déjà à leur disposition, à cultiver le pluralisme démocratique en Europe (ce qui n’équivaut pas à imposer une pensée unique dans l’Union, mais au contraire à rappeler que la démocratie reste l’art de gérer des désaccords parfois profonds dans notre société) et, enfin, à développer de nouveaux outils, beaucoup plus puissants, pour forcer les États qui ne respecteraient pas les règles du jeu à prendre leurs manquements au sérieux. Dans cette optique, Theuns explore de manière intéressante l’idée d’une exclusion permanente de l’UE pour manquement démocratique – une « option nucléaire » à utiliser certes avec précaution, mais dont la menace pourrait servir de dissuasion contre les pays qui oseraient s’aventurer trop loin dans l’autocratie, rendant leur régime définitivement incompatible avec les valeurs démocratiques portées par l’UE.
Thibault Muzergues
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