Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2025 de Politique étrangère (n° 2/2025). Paul Wohrer, chercheur au Programme Espace de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Xavier Pasco, La ruée vers l’espace. Nouveaux enjeux géopolitiques (Tallandier, 2024, 368 pages).

À la suite de son précédent ouvrage Le nouvel âge spatial. De la guerre froide au New Space, Xavier Pasco propose ici une remise en contexte des dynamiques observables dans le domaine spatial. Le livre s’attache à examiner et à interroger, quitte à les réfuter, les récits entourant cette nouvelle « ruée vers l’espace ».
La première partie, intitulée « L’espace en mutation », s’attache à démontrer, chiffres à l’appui, le bouleversement en cours et l’accélération spectaculaire des activités dans le domaine spatial. Il note l’augmentation des « surprises stratégiques », et le mot de « sidération » revient souvent pour caractériser l’attitude des spécialistes, des acteurs historiques, voire de pays entiers face aux évolutions rapides du domaine. Cette première partie brosse un panorama marqué par la domination toujours écrasante des États-Unis, mais aussi par les avancées considérables de la Chine et plus récemment de l’Inde. Il note la dégradation spectaculaire de la place de la Russie dans la hiérarchie des puissances spatiales, et les grandes difficultés de l’Europe pour négocier ce changement de tempo.
La seconde partie, « L’espace en tension », rend compte de la croissance des dynamiques de compétition dans l’espace : industrialisation de l’orbite basse, exploration de la Lune et militarisation de l’espace sont ici les illustrations des nouvelles aires de confrontation et de réorganisation de la géopolitique spatiale – qui sont explorées en détail jusque dans des dimensions techniques comme l’attribution de fréquences ou l’occupation des orbites. L’espace agit ici comme un miroir grossissant du contexte international, le domaine étant volontiers utilisé comme théâtre d’une rhétorique agressive au service d’une nouvelle confrontation de puissances.
Si la conclusion témoigne d’une grande continuité historique dans les raisons qui poussent les puissances géopolitiques à utiliser l’espace (raisons militaires, de prestige, de progrès technique et scientifique), l’ouvrage note, au fil du récit, la rupture substantielle qui s’est opérée dans le rapport des sociétés humaines à l’espace, en comparaison des années pionnières. Il constate une forme de banalisation des activités spatiales, matérialisée par des lancements de plus en plus fréquents, l’occupation d’orbites par des constellations, et la disponibilité toujours plus grande de services permis par les satellites via les technologies de l’information.
Si nombre de ces évolutions ont bien sûr permis des améliorations notables de l’efficacité des appareils militaires, de la connaissance du climat ou de la vie quotidienne, l’auteur indique cependant que, dans l’intervalle, une certaine idée romantique, sanctuarisée voire sacralisée, des activités spatiales s’est perdue. L’espace n’est plus considéré comme un domaine à part mais tend à devenir une partie de l’infrastructure numérique de la terre, et donc soumis aux mêmes enjeux, dans un environnement international de plus en plus brutal.
Cet ouvrage offre une analyse lucide et raisonnable de l’accélération actuelle, en recontextualisant ses différentes composantes. L’auteur porte un regard peu optimiste mais d’une grande objectivité sur les défis actuels du domaine spatial, et ouvre des perspectives sur l’avenir de l’Europe. Un livre important, chronique fine d’un changement d’époque.
Paul Wohrer
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