Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2025 de Politique étrangère (n° 2/2025). Chloé Buire propose une analyse de l’ouvrage de Paula Cristina Roque, Insurgent Nations: Rebel Rule in Angola and South Sudan (Hurst, 2024, 408 pages).

L’ouvrage de Paula Cristina Roque offre une plongée dans l’histoire récente de deux mouvements rebelles africains. L’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA), après avoir participé à la lutte armée contre les colons portugais, a contesté le gouvernement du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) qui a pris le pouvoir lors de l’indépendance en 1975. Le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) émerge en 1983, soit 27 ans après l’indépendance du Soudan, pour contester l’islamisation de l’État à Khartoum et revendiquer l’autonomie des territoires du Sud.
À travers ces deux luttes pour une « seconde libération », Roque nous plonge dans des jeux de pouvoir complexes, de la géopolitique globale au tournant de la guerre froide jusqu’aux inimités personnelles au sein des groupes rebelles, en passant par la délicate question de la définition de la victoire dans le cadre des processus de construction nationale. Si le SPLM obtient finalement l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, cette sécession scelle l’éclatement de la rébellion et plonge le nouvel État dans une guerre civile qu’aucun accord ne semble pour l’heure pouvoir arrêter. En Angola au contraire, l’UNITA a perdu la guerre en 2002 et paraissait condamnée à rester dans l’opposition à un régime cadenassé par le MPLA, mais c’était sans compter sur les aspirations démocratiques de la jeunesse d’après-guerre qui se tourne aujourd’hui vers elle pour rejeter le vieux parti-État. Les chronologies proposées en annexe offrent des synthèses précieuses pour aller plus loin dans l’histoire de l’Angola et du Soudan du Sud.
La force principale de l’ouvrage tient avant tout à l’effort de comparaison systématique entre les deux trajectoires. Roque montre ainsi combien le charisme et les capacités visionnaires des leaders de l’UNITA et du SPLM (respectivement Jonas Savimbi et John Garang) furent essentiels pour consolider leur capacité (rebel agency) à défier des États pourtant soutenus par des géants militaires. Dans un cas comme dans l’autre, les alliances internationales initiales – soutien des États-Unis via l’Afrique du Sud anti-communiste pour l’UNITA, soutien de l’Éthiopie socialiste pour le SPLM – ont permis des victoires militaires et des formes avancées de légitimité auprès des populations civiles, tout en rendant les mouvements particulièrement vulnérables à l’abandon de leurs alliés. Roque détaille également le fonctionnement d’appareils administratifs établis hors de l’État, en particulier dans la ville de Jamba, construite par l’UNITA dans le sud de l’Angola, où ont été posées les bases d’un système d’éducation et de santé nourrissant aujourd’hui une certaine nostalgie chez celles et ceux qui l’ont connu.
Cette nostalgie semble d’ailleurs parfois se glisser dans l’analyse elle-même, et l’on peut regretter que Roque n’offre pas de réflexion plus critique sur le travail de mémoire sociale qui opère inévitablement en filigrane de ce projet. C’est pourtant sans doute ce qui fait l’originalité de cet ouvrage : adosser la restitution minutieuse des faits et des conflits ayant jalonné l’histoire des deux mouvements aux récits qu’en font les protagonistes, grâce à plus de 150 entretiens avec les hommes et les femmes qui ont vécu et façonné ces « nations insurgées » et continuent aujourd’hui à peser dans la trajectoire de leurs pays.
Chloé Buire
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.