Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2025 de Politique étrangère (n° 2/2025). Alain Dejammet propose une analyse de l’ouvrage d’Anne-Cécile Robert, Le défi de la paix. Remodeler les organisations internationales (Dunod, 2024, 288 pages).

Voici quelques années, on ne pouvait évoquer le multilatéralisme sans en célébrer les bienfaits. Qu’en est-il, aujourd’hui, alors que le Nord boude le Sud et réciproquement ? Qui oserait interrompre les colloques singuliers, signaler l’existence d’enceintes prévues pour débattre, proposer, décider ?

C’est la première vertu de ce livre que de remettre en lumière ces acteurs essentiels : les organisations internationales. Second mérite : celui de se concentrer sur l’objectif capital de la restauration et du maintien de la paix.

Anne-Cécile Robert n’a pas besoin d’insister pour que l’on convienne de l’absence de vergogne des pays qui condamnent aujourd’hui ce qu’ils pratiquaient trente ans plus tôt en matière d’agressions et de « deux poids, deux mesures ». L’auteure est fondée à souligner que le maintien de la paix est la raison même de l’ONU. Les développements de la Charte sur la coopération économique et sociale, la promotion des droits de l’homme sont certes bienvenus mais ils doivent se lire en rapport avec le service primordial de la paix ; la force étant prohibée par l’article 2, paragraphe 4 de la Charte.

Les sanctions, qui se traduisent par des mesures matérielles, sont des actes de force. Elles ne sont donc légales que décidées comme des mesures collectives ordonnées : non par tels ou tels États mais par le Conseil de sécurité. La pratique actuelle s’éloigne donc de la Charte et ne peut être justifiée que par référence à l’article 51 de la Charte autorisant la légitime défense, individuelle ou collective.

Le rôle de l’ONU a évolué. Les pays du tiers-monde qui avaient cru pouvoir bâtir un nouvel ordre économique international ont renoncé face au barrage dressé par l’Occident. En revanche, l’ONU a pris le tournant de la judiciarisation. Mais on regrettera qu’Anne-Cécile Robert n’ait pas davantage traité du choix entre la justice et le couple vérité/réconciliation. Il y a là une différence d’approche entre l’Occident et plusieurs pays du Sud : châtiment ou pardon, valeurs occidentales ou valeurs asiatiques….

Le titre Le défi de la paix est justifié, mais le sous-titre un peu trompeur. L’auteure a rassemblé les pièces du dossier, et décrit les propositions de réforme. Une seule a véritablement émergé : le mécanisme de la responsabilité de protéger. Pourquoi ce demi-succès ? Parce qu’on en a fait un attribut de la souveraineté des États. Si ceux-ci échouent à assumer la responsabilité de protéger leurs populations, le pouvoir est donné à l’ONU de se substituer à leurs défaillances.

Dissipons l’impression que le Conseil de sécurité se fragmente en blocs opposés et immuables. Anne-Cécile Robert évoque un P3 : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. La réalité est mouvante et, pendant l’affaire irakienne, la France fut plus souvent membre d’un P3 avec la Russie et la Chine.

La mobilité du jeu onusien est gage de liberté. C’est pourquoi l’auteure a raison de mettre en garde contre la tendance visant à s’éloigner de l’institution onusienne, à créer et privilégier de nouvelles instances (G7, G20, etc.). Le président Mitterrand était inquiet de cette dérive, et il appelait à s’opposer à la transformation du G7 en organe de direction politique. Ce combat est constant. Il implique que le regard sur l’ONU, grâce à des études aussi sérieuses que celle d’Anne-Cécile Robert, soit empreint d’une vraie vertu diplomatique : le respect de l’autre.

Alain Dejammet

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