À la suite du sondage réalisé sur ce blog, nous avons le plaisir de vous offrir en libre accès et en avant-première l’article du numéro d’hiver 2025 de Politique étrangère (n° 4/2025) que vous avez choisi d'(é)lire : « La nouvelle stature diplomatique des pays du Golfe », écrit par Camille Lons, directrice adjointe du bureau parisien de l’European Council on Foreign Relations (ECFR).

Au cours des quinze dernières années, les monarchies du Golfe se sont imposées comme des acteurs majeurs, non seulement du Moyen-Orient mais plus largement de la scène internationale. Depuis les printemps arabes, elles sont devenues incontournables dans la plupart des dynamiques régionales – de l’Égypte et la Libye à l’Irak et la Syrie –, mobilisant leurs leviers financiers, énergétiques et diplomatiques pour peser sur l’évolution politique de leur environnement régional. Désormais, elles ne se limitent plus à leur voisinage immédiat : elles cherchent à se positionner comme puissances moyennes globales, pouvant dialoguer aussi bien avec Washington qu’avec Pékin ou Moscou, mener des médiations sur l’Ukraine ou la République démocratique du Congo (RDC), ou se projeter comme pivots d’un ordre mondial multipolaire en gestation.

Cette stature nouvelle est le produit d’une transformation profonde de leurs priorités de politique étrangère autant que de leur gouvernance interne. Elle est toutefois fragile et confrontée à de sérieuses limites : leur ambition de faire du développement économique et de la connectivité un vecteur de stabilité régionale se heurte à la résurgence des conflits armés au Moyen-Orient. Dans une période de redistribution des cartes régionales, les pays du Golfe peinent à imposer une vision de long terme pour la région à la hauteur du leadership régional auquel ils prétendent.

Les pays du Golfe, nouveaux acteurs politiques incontournables

En mars 2025, le choix de Riyad pour mener des discussions bilatérales américano-russes sur l’avenir de l’Ukraine a pu surprendre plus d’un observateur. L’initiative n’était cependant pas isolée. Ces dernières années, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar ont multiplié les initiatives diplomatiques sur la scène internationale, bien au-delà du Moyen-Orient. Ils ont ainsi mené des médiations diplomatiques au Soudan, en RDC, en Asie du Sud ou encore en Afghanistan. Ils se sont également lancés dans l’organisation de nombreux forums multilatéraux et méga-événements, de la COP28 à Dubaï à l’Exposition universelle et à la Coupe du monde de football. Ils ont investi des milliards pour accueillir des filiales d’universités et de musées parmi les plus prestigieux au monde – Louvre, musée Guggenheim, Sorbonne et université de New York à Abou Dhabi, ou université Georgetown au Qatar.

Sur le plan économique, les pays du Golfe continuent de dominer les marchés pétroliers, dont ils tirent une influence géopolitique majeure, mais ils cherchent aussi désormais à s’imposer dans les secteurs du futur, de l’Intelligence artificielle aux minerais critiques et aux technologies vertes. Les Émirats ont annoncé, en 2025, la construction de ce qui pourrait être l’un des plus gros data centers au monde et leur programme spatial a envoyé la première mission arabe d’exploration vers Mars en 2021, avec pour objectif de long terme de permettre la colonisation de la planète rouge d’ici 2117.

Ces investissements massifs dans le sport, la culture ou les infrastructures contribuent à projeter une image de hubs connectés et modernes, supports d’un soft power qui remodèle la perception internationale des monarchies du Golfe et légitime leur rôle politique.

L’influence de ces pays se trouve renforcée depuis la réélection de Donald Trump. Ce dernier leur accorde en effet une place toute particulière dans sa diplomatie, alors que les relations étaient tendues entre l’Arabie saoudite et l’administration Biden. Le président républicain a ainsi choisi le Golfe pour son premier voyage international en mai 2025, comme il l’avait fait en 2017. Il a opté pour l’Arabie saoudite comme lieu de sa rencontre avec Vladimir Poutine en février 2025, puis pour la tenue de négociations sur l’Ukraine le mois suivant. Il compte beaucoup sur sa relation privilégiée avec les pays du Golfe pour l’aider à réguler les prix du pétrole et pour investir massivement aux États-Unis. Enfin, il compte sur ces pays pour soutenir nombre de projets au Moyen-Orient : pour assurer l’aide financière au Liban, la reconstruction de la Syrie ou encore soutenir un projet de reconstruction et de gouvernance après la guerre à Gaza.

Printemps arabes, pivot américain, transitions énergétiques :
la nouvelle donne géopolitique

En l’espace de quinze ans, les pays du Golfe sont passés du statut de géants pétroliers endormis, comptant sur leurs rentes et le parapluie sécuritaire américain pour préserver leurs régimes conservateurs des secousses régionales, à celui de puissances régionales influentes et dynamiques aux ambitions mondiales. Cette transformation est le résultat de bouleversements profonds de l’ordre régional et mondial, qui ont contraint les monarchies du Golfe à revoir drastiquement leur posture de politique étrangère.

En 2011, les printemps arabes ont été un électrochoc majeur : plusieurs régimes du monde arabe, installés depuis parfois des décennies, se sont effondrés sous la pression populaire, de la Tunisie de Ben Ali à l’Égypte de Moubarak, à la Libye de Kadhafi ou encore au Yémen ou au Soudan. L’Arabie saoudite est allée jusqu’à intervenir militairement au Bahreïn pour réprimer les manifestations et éviter une chute du régime. Les bouleversements régionaux des printemps arabes se sont accompagnés d’une montée en puissance de l’influence régionale iranienne – notamment au Yémen, en Syrie et en Irak – et de l’arrivée au pouvoir de mouvements proches des Frères musulmans en Tunisie et en Égypte, perçus par beaucoup de pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) comme des menaces régionales majeures. Ces bouleversements ont déclenché un effort sans précédent des monarchies du Golfe pour tenter d’influencer les transitions politiques en cours et contenir le risque de contagion régionale, considéré comme une menace existentielle pour leurs propres régimes.

Plus marquant encore pour les dirigeants du Golfe fut l’attitude de l’administration Obama face aux printemps arabes. L’absence d’intervention pour tenter de sauver le régime du président égyptien Moubarak, allié de longue date, fut vécue comme une véritable trahison. L’épisode s’inscrivait dans un contexte où Washington affichait de plus en plus clairement son intention de réduire son empreinte militaire au Moyen-Orient. Grâce à la révolution du gaz de schiste, les États-Unis avaient acquis une quasi-autonomie énergétique et entendaient désormais réorienter leurs priorités stratégiques vers l’Indo-Pacifique, nouveau théâtre central de la compétition entre grandes puissances.

Enfin, l’accélération des transitions énergétiques à l’échelle mondiale est venue fragiliser ce qui, depuis les années 1970, était la principale source de revenus et un levier géopolitique majeur des pays du Golfe. Combinée au désengagement progressif des États-Unis, cette évolution a remis en cause les piliers mêmes de leur stabilité et de leur influence, les obligeant à repenser en profondeur leurs stratégies de politique étrangère. […]

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