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Les derniers éditos de PE

Crise de la dette et printemps arabe au sommaire du nouveau PE (1/2012)

La crise, certes, mais quelle crise ? Ce numéro de Politique étrangère tente de la cerner, au moins sur un champ de bataille emblématique : l’Europe. Crise monétaire, financière, économique et sans doute systémique pour les économies du vieux continent. On s’efforce ici d’en décrire les divers niveaux, les enchaînements, ainsi que d’analyser les dysfonctionnements d’une décision politique qui semble toujours « en réponse », en arrière ou sur les bas-côtés de l’événement. Comment, depuis 2010, ont pu s’enchaîner les difficultés, les mises en garde, les catastrophes, les parades plus ou moins provisoires, et à quel terme est-il possible d’organiser les réponses : bref, pour combien de temps sommes-nous condamnés aux bihebdomadaires sommets de la dernière chance ?
On suivra donc ici le développement des crises européennes, des crises dans les crises, des crises surdéterminant la crise la plus visible, celle de l’euro. Et on s’interrogera aussi sur cette dette qui campe désormais au cœur du débat sur les politiques publiques. Qu’est-ce qu’une dette d’État ? Comment advient-elle ? Un État peut-il vivre et se développer sans dette ? Et pourquoi les États d’Europe, les plus riches de la planète, affichent-ils une dette qui, sans doute pour la première fois de leur histoire, n’a pas de relation avec le fait guerrier ? Interrogation fondamentale, car si la dette publique est aujourd’hui produite simplement par notre mode de vie, il faut alors mettre en cause sa viabilité, en un temps où les rapports de force économiques sont définis par la mondialisation et non plus par les échanges inégaux nés de centaines d’années de domination politique et économique de l’Occident.
On s’interroge ici aussi sur les grands acteurs de ces crises. Les États, les gouvernements, les classiques puissances économiques et financières, sans oublier la désormais fameuse entité des « marchés financiers » qui semble, dans le débat public, s’être substituée aux opinions ; ni, symbole de ces marchés, de leur cynisme ou de leur simple capacité à prévoir les chaos économiques, les agences de notation – thermomètres simples ou facteurs accélérateurs du mal ? Approfondir l’action de ces dernières, c’est passer au crible un système qui a besoin d’elles, éclairer la nature des logiques d’investissement transnationales qui ont elles-mêmes défini leur place et leur crédibilité.

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Les révolutions arabes, mais quelles révolutions ? Hors la tentation, concrétisée ou non, du soulèvement – ce dernier revêtant des formes spécifiques à chaque pays –, quel point commun entre la Tunisie, l’Égypte, la Libye, le Yémen, les pays où les régimes autoritaires verrouillent encore le destin de leur peuple, ceux où des réformes progressives tentent d’assurer une transition plus ou moins douce ? La difficulté que nous avons, Européens, Occidentaux en général, à penser ces révoltes, au-delà d’une peur rampante ou d’un discret soutien, témoigne d’une incapacité plus large à penser l’espace sudméditerranéen, en dépit de sa proximité, en raison peut-être de sa proximité et de son poids dans notre histoire. Notre surprise devant l’élection régulière de partis islamiques renvoie à notre incompréhension de sociétés toutes – même si à des degrés divers – structurées par le fait religieux, culturellement et socialement. Notre difficulté à nous faire entendre des États en révolution est l’héritage des contradictions de nos stratégies de ces dernières décennies, de ces dernières années, voire de ces derniers mois – y compris après les révolutions : de quelle explication unique couvrir l’intervention libyenne et l’abstention syrienne ? Et notre distance vis-à-vis des développements arabes – voir le silence gêné qui règne en Europe – s’explique aussi par le fait que ces révolutions ne nous voient pas : elles se regardent, elles ne nous considèrent nullement comme des modèles politiques, institutionnels ou moraux, nous qui pensions notre soft power comme une dernière carte au service de notre puissance.
Le dossier que nous consacrons au premier anniversaire des soulèvements arabes est riche de la diversité de leurs expériences : il ne décrit nul modèle… Les révolutions sont en elles-mêmes imprévisibles et ne sont porteuses d’aucun régime. À terme, c’est la nature même – certes évolutive – de la sociologie, de la culture des divers pays qui prévaut. Les dictatures savent parfois se défendre. Des acteurs neufs – ici la « génération Internet » et ses réseaux sociaux – peuvent s’affirmer, mais leur poids réel ne sera clarifié que par le temps, avec leur intégration dans le mouvement général des sociétés. Quant à la leçon la plus immédiate – mais est-elle étonnante ? –, elle est bien que les changements de régime internes entraînent d’abord de profonds bouleversements des rapports de forces internationaux.

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Crise européenne et démocratisation au sommaire du dernier Politique étrangère

L’actualité valide étrangement la cohabitation des deux dossiers que présente ce numéro de Politique étrangère. Les événements de 2011 dans les pays arabes ou en Afrique, la préparation de l’élection présidentielle en Russie, les difficultés du système institutionnel américain et aussi l’écho, au loin, de l’Afghanistan, donnent, 20 ans après son triomphe des années 1990, la mesure de l’ambivalence, voire de l’ambiguïté, de la bonne conscience démocratique occidentale. La « démocratie » n’aura été que fugacement l’horizon – de court terme – indépassable de notre temps.

(cliquer sur la couverture pour voir le sommaire)

La marche de l’Europe le long du gouffre vient aussi poser, en chapeau aux décisions prises pour parer à la crise économique et financière, la question de la production des décisions politiques sur notre continent. Étrange Europe… Les succès de la construction européenne sont historiques au pur sens du terme : la paix, la croissance, la répartition de la richesse, l’élargissement des espaces de liberté ; ces acquis n’ont été recueillis aussi rapidement dans aucun autre espace du monde et ils servent de modèle très largement à ce même monde. Et pourtant, on sent bien que quelque chose se passe en Europe qui ressemble au divorce entre les peuples européens et cette construction censée leur apporter leur plus grand profit historique.

On peut relever, avec Alain Richard dans ce numéro, que la paix et la prospérité, qui furent à la fois les objectifs premiers et les apports nets de la construction européenne, ne suffisent plus à fonder sa légitimité (PDF). La paix parce qu’elle semble là, non menacée pour les générations nouvelles ; la prospérité parce qu’elle menace de n’être plus là : l’Europe ne la produit plus, ne la garantit pas – voir la crise et ses difficultés manifestes à s’y orienter. L’Europe n’enrichit plus et ne protège plus : c’est sans doute ainsi que, de plus en plus nombreux, les Européens la perçoivent.

L’Union européenne (UE) est devenue au fil des élargissements un vaste espace de négociation permanente entre intérêts nationaux divergents. Elle était aussi hier le champ d’opposition d’intérêts contraires mais dans un espace restreint et plus équilibré, donc plus maîtrisable, qui permettait de mettre en avant la production d’un intérêt collectif, ce qui ne semble plus souvent le cas… Paradoxe, cependant : la négociation de crise pousse vers l’avant, fait sauter les gouffres et contourner les impossibilités institutionnelles. La crise grecque a donc permis d’avancer vers la gouvernance économique de l’Union monétaire d’une manière inattendue. Mais au rythme lent de l’intergouvernemental. Et le sait-on vraiment ? Ce progrès apparaît-il légitime aux opinions, au nom des valeurs qui fondaient pour elles la construction européenne ? Autrement dit, le progrès institutionnel vient-il balancer pour ces opinions l’image d’impuissance, d’affolement, et au final d’illégitimité, des décisions prises à Bruxelles ? Il est aujourd’hui permis d’en douter.

Plus partagée est sûrement l’idée que les politiques revendiquées par Bruxelles sont au vrai dictées par des instances non contrôlables par les procédures démocratiques – les fameux « marchés » qui renversent les gouvernements ou censurent dans l’instant les ministres pressentis, comme en Grèce ou en Italie. Et que l’intergouvernemental, un temps loué comme démocratique face à la « technocratie apatride » bruxelloise, ne vaut guère mieux, aussi soumis qu’il est à des logiques techniques qui l’éloignent de la raison politique.

La décision européenne apparaît ainsi de plus en plus comme une imposition et de moins en moins comme une création collective, et dans des cas fort divers : pour les Grecs, les Espagnols, mais aussi les Allemands. La question posée est donc bien celle du projet européen – celui qui justifie un sentiment collectif européen – et de la capacité des institutions démocratiques des États membres à le porter, à l’intégrer dans leurs propres processus démocratiques. Il est légitime de valoriser les systèmes nationaux de production de démocratie ; mais la décision s’élaborant aussi en dehors de leurs institutions, ces systèmes doivent aussi porter le projet de construction européenne. Faute de quoi une image d’échec des institutions de Bruxelles, un frileux retour au national fondé sur la peur de la mondialisation, puis l’inévitable constat de l’impuissance des États européens séparés pourraient déboucher sur de dangereuses aventures : les populismes de tout poil en donnent quelque avant-goût. Il faut en revenir au politique, à la vision européenne, à 27, à 17, ou moins, pour recréer l’idée, aujourd’hui mise en question, d’un destin politique – et pas seulement technique – solidaire.

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Certes, dire « démocratie » n’est pas décrire un système breveté et comme tel exportable. C’est aussi la richesse de ce numéro que de nous le rappeler. Les révolutions arabes déboucheront peut-être sur un élargissement de l’espace démocratique mais selon des rythmes et des procédures qui seront propres à chaque pays (voir, par exemple, l’article de Thomas Pierret : « Syrie : l’islam dans la révolution »). Ces révolutions ne se sont pas faites dans un espace politique organisé ni au nom d’un projet structuré : une révolution est toujours une explosion vaguement irrationnelle pour « le pain et la liberté ». L’organisation et le fonctionnement d’un régime démocratique sont autre chose, supposant un équilibrage permanent entre choc des opinions, efficacité de la prise de décision et acceptabilité du choix collectif.

La multiplication des élections africaines, plus ou moins transparentes et respectées, nous dit la même chose. La démocratie est affaire d’élections mais dépend surtout de l’organisation politique de la société : c’est cette dernière qui porte les partis, les débats, les réflexes qui constituent l’esprit démocratique. Toutes composantes qui ne peuvent se référer à un modèle unique – combien de formes de sociétés démocratiques en Occident même ?

Dans des ordres d’idées fort différents, l’affleurement des démocraties locales en Chine, le blocage actuel et de plus en plus visible des institutions américaines et les difficultés européennes sont là pour nous rappeler que les formes de la démocratie sont diverses et qu’elles doivent évoluer. En dépit de notre bonne conscience, la formule démocratique ne peut donc être dispensée ni parachutée. La seule certitude historique, c’est qu’hors certaines valeurs – le respect de l’individu, sa liberté de penser, son droit à une vie digne, matériellement et moralement –, aucune invocation de la démocratie ne vaut.

Un peu plus de 20 ans après l’effondrement du système soviétique, cette démocratie que nous croyions alors achevée est partout, à des degrés divers, en question. L’élaboration de formes démocratiques adaptées à un temps social, économique, technique, et donc politique, nouveau est un enjeu fondamental des débats qui tentent de dessiner une nouvelle gouvernance mondiale.

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[édito] Après le 11 septembre : les États-Unis et le Grand Moyen-Orient

Le dernier numéro de Politique étrangère, consacré au thème « Après le 11 septembre : les États-Unis et le Grand Moyen-Orient« , vient de paraître.

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EDITO

Dix ans après, pourquoi revenir sur un 11 septembre qui n’a cessé de faire parler ? Parce que, volens nolens, la date représente bien un seuil. Un seuil dans la découverte d’un monde nouveau né de l’après-guerre froide, mais demeuré, dans la dernière décennie du XXe siècle, une sorte de brouillon quelque peu mystérieux. Un seuil dans l’utilisation symbolique de la violence contre la puissance – le « génie » terroriste est là : non dans la frappe elle-même, somme toute assez élémentaire quant à sa manœuvre, mais dans le choix de la cible : les Twin Towers, image de la modernité, de la richesse et de l’arrogance du fort. Un seuil aussi dans l’évolution de la société internationale : la violente mise en cause de la force américaine s’est accompagnée ces dix dernières années de l’affirmation progressive de pays qui seront demain les puissances « émergées », lesquelles, au sens le plus précis de l’expression, bouleverseront l’ordre du monde.

La frappe traumatisante du 11 septembre a eu des effets directs sur les rapports de force dans le monde. Un instant tétanisée, la puissance dominante de la planète, fugitivement rêvée en « gendarme du monde » dans les années 1990, a violemment réagi, en développant une irrépressible force de transformation. Transformation des visions classiques de la sécurité – la « guerre contre la terreur » a d’abord été une lutte contre les terroristes, renforcée dans toutes les sociétés concernées et en définitive relativement victorieuse. Les victoires ne peuvent être ici que relatives, mais se prouvent par l’absence ou la limitation des faits : le monde n’a pas connu, ces dernières années, les dévastations qui semblaient promises par le coup inaugural du 11 septembre. Transformation de certains rapports internationaux au nom de cette lutte globale contre la terreur : rapports d’alliances redéfinis, coopérations entre services de police ou de renseignement, etc. Transformation, enfin, dans un espace cardinal supposé être à l’origine de nombre de maux « terroristes » : le monde musulman, plus ou moins assimilé, dans une certaine pensée américaine, au « Grand Moyen-Orient » des discours bushiens.

Cette puissance transformatrice, les États-Unis l’ont maniée sans complexe, appuyés sur leurs deux cartes maîtresses : la puissance économique et la puissance militaire. Avec des résultats complexes à analyser. L’efficacité a été moins globale que prévu : l’emblème est ici le destin pour le moins incertain de la zone AfPak. Et, paradoxe, là où elle fut incontestable, la transformation s’est révélée au final plus perturbatrice qu’organisatrice : voir l’exemple irakien et plus largement la région moyen-orientale au sens traditionnel de ce terme.

C’est donc à travers le prisme du Moyen-Orient – de stricte ou de large définition – que ce numéro de Politique étrangère a choisi d’analyser, dix ans plus tard, les conséquences du 11 septembre. Un Moyen-Orient décisif – politiquement, économiquement, moralement même – pour des Occidentaux qui donnent encore pour un temps le la des débats politiques de la planète ; mais décisif aussi, par exemple en termes énergétiques, pour la puissance chinoise. Un espace où se joue, depuis les révolutions arabes du printemps 2011, une grande part du débat sur la démocratisation des sociétés politiques, débat largement hérité de la fin de la guerre froide mais qui avait peu progressé après les premiers enthousiasmes des années 1990. Une aire où se joue une bonne part de l’assise diplomatique et militaire de la (toujours) première puissance de la planète.

Que représentent aujourd’hui les États-Unis dans le Grand Moyen- Orient qu’ils essayèrent de définir, de redéfinir sous les deux mandats de George W. Bush ? Une force économique et militaire considérable ? Une référence : positive, négative, ou mêlée ? Une force en voie de marginalisation, ou en plein retour à partir d’autres règles ? Le positionnement de Washington face au printemps arabe a été à la fois hésitant et subtil, et tels Européens qui annoncèrent voici plusieurs mois l’extinction de l’influence américaine dans la région paraissent aujourd’hui bien pressés.

Washington devrait continuer de jouer dans la région trois cartes majeures : sa puissance économique et militaire (même si cette dernière montre ses limites, chacun sait qu’elle reste décisive, comparée à celle des autres) ; son image, contradictoire et mixte dans la plupart des opinions publiques de la zone, sauf sans doute à l’est où elle est plus largement rejetée, en Afghanistan ou au Pakistan ; et l’absence des autres. Chacun souhaite que l’affaire libyenne se termine positivement, au premier chef pour le peuple libyen, puis pour nos armées qui y sont engagées. Mais on ne peut guère prétendre que les derniers mois ont mis en scène des acteurs internationaux susceptibles de remplacer les États-Unis face aux traumatismes régionaux qui s’annoncent.

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Au-delà, se pencher sur le Moyen-Orient dix ans après le 11 septembre dans ses rapports avec l’Amérique, c’est aussi parler de l’ailleurs, du monde qui va, hors des obsessions de la « guerre contre la terreur ». L’équilibre des puissances change, même si le résultat futur du changement n’est pas connu, et le Moyen-Orient est aussi le champ d’exercice de ces nou- veaux rapports de force : avec des puissances désormais de premier rang comme la Chine, ou d’autres comme l’Iran ou la Turquie. Ce nouveau damier de la puissance n’a pas trouvé les formes de cogouvernement qui lui correspondent : la nouvelle gouvernance mondiale hésite et balbutie, et cela se traduit d’abord dans cette région. Enfin, l’ouverture économique et technologique des sociétés modèle de nouvelles formes de vie sociale et politique, sans doute déterminantes pour les systèmes de gouvernement et les gouvernances futures : et cela est aussi à l’œuvre dans l’aire arabe et moyen-orientale.

Le dossier exceptionnel que propose ce numéro de Politique étrangère dépasse donc de beaucoup sa thématique : les rapports entre les États-Unis et le Grand Moyen-Orient dans le sillage du 11 septembre. À travers le devenir d’une région qui reste décisive et celui d’une puissance qui demeure, au-delà de ses traumatismes et de ses erreurs, la « puissance référente », c’est l’avenir des équilibres internationaux qui s’y joue dans ses multiples dimensions : énergétique, démographique, militaire et tout simplement démocratique.

 

[Edito] Guerre contre le terrorisme et avenir de la PAC au menu du dernier Politique étrangère

Le n°2/2011 de Politique étrangère est disponible. Les deux thématiques à l’honneur pour ce numéro sont « Al-Qaida et la guerre contre le terrorisme » et « L’Avenir de la PAC« .

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EDITO
Ces derniers mois ont déclaré Oussama Ben Laden mort deux fois : noyé dans les aspirations démocratiques arabes, puis abattu au Pakistan. Sa gloire aurait-elle duré dix ans seulement qu’elle laisserait pourtant le monde différent. Certes, le 11 septembre 2001, qui impose l’image d’un « hyperterrorisme » et celle d’une « islamisation » de la violence, n’est pas l’événement singulièrement fondateur que d’aucuns décrivirent alors : l’ascension des économies émergentes ou la crise économique marquent déjà le siècle de tendances longues autrement plus déterminantes. D’une certaine manière, le 11 septembre accouche pourtant d’un monde nouveau, en ce qu’il ouvre une vision neuve des rapports de force dans le monde, des rapports entre unités politiques contemporaines.

 

Dans les années qui suivent le coup de tonnerre de septembre 2001, certains commentateurs installent le phénomène terroriste au cœur des scénarios de violence du siècle qui s’ouvre : l’asymétrie terroriste, appuyée sur le développement et la diffusion des technologies, sera la référence des conflits du siècle, y occupera une place centrale, de plus en plus large. Dix ans plus tard, la prédiction ne s’est pas réalisée. Et les mesures mises en œuvre par les États – dont le 11 septembre signe d’une certaine manière le « retour » – s’avèrent plutôt efficaces pour maintenir les actions terroristes dans une relative marge, aussi sanglante soit-elle.

Il reste que cette période a profondément modifié notre vision du monde. Du côté des puissances, les succès de la lutte antiterroriste, mais aussi les terribles errances de la puissance américaine dessinent une scène internationale différente. Les États-Unis sont toujours là, dominants, centraux, mais changés. Ailleurs, l’idée même d’asymétrie et l’échec américain en Irak – avant même qu’on ne puisse tirer un bilan de la guerre afghane – dessinent aussi un monde plus divers. Un monde où les hypothèses de conflits et les formes d’usage de la force sont beaucoup plus nombreuses, déclinées, que ce que nous imaginions dans la dernière décennie du XXe siècle.

Le dossier que publie ici Politique étrangère témoigne de cette diversité du monde conflictuel, sans doute plus visible depuis dix ans, et de la difficulté qu’ont les puissances classiques à s’y orienter. Le terrorisme apocalyptique ne s’est pas concrétisé. Al-Qaida survit, mais sous des formes localement plus que globalement dangereuses, et des formes d’organisation que nous n’avions guère imaginées. Les engagements en Irak puis en Afghanistan renvoient à des formes de guerre où les rapports asymétriques prédominent, contraignant les armées occidentales à revenir à des formes de raisonnement oubliées – contre-insurrection, pacification, etc. Le tout sous cette interrogation plus globale : nos esprits, nos modes de raisonnement doivent certes évoluer, mais aussi nos structures de forces ; dans quel sens, et avec quels moyens ?

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Cette dernière question – l’adéquation des instruments politiques et militaires aux décisions d’engagement, d’intervention dans un conflit – est clairement posée par l’aventure libyenne. À l’heure où ces lignes sont écrites, son issue n’est pas connue ; elle a pourtant déjà, très près de nous, fait plusieurs blessés.

Au premier chef, c’est la notion même d’intervention humanitaire qui est sans doute touchée. Décidée selon d’honorables critères de protection des populations, l’intervention aérienne contre le régime Kadhafi paraît vite quelque peu brouillonne (sans objectif militaire ni politique clairement identifié), voire assez arbitraire : les populations libyennes ont droit à la protection internationale, mais pas les syriennes. On comprend bien pourquoi ; il reste que c’est la légitimité même de l’intervention internationale dans ces opérations humanitaires qui s’en trouve questionnée – sans parler des divergences d’interprétation des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies entre ceux-là mêmes qui les votent. Autre victime : l’Union européenne (UE), aux abonnés absents de la diplomatie, et qui se divise sur Schengen, l’un de ses acquis les plus symboliques aux yeux du monde extérieur. Aucune puissance européenne n’a apparemment songé à inscrire ses débats et décisions dans le cadre de la fameuse Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) que le traité de Lisbonne devait réorganiser.

Victime collatérale peut être encore plus significative pour le court terme : l’entente franco-allemande. L’abstention de la République fédérale d’Allemagne (RFA) dans l’affaire libyenne est étonnante pour un pays qui aspire à un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais elle est plus préoccupante par ce qu’elle suggère, à terme, de désir de désengagement de la part d’une puissance européenne dominante : Berlin en est-il vraiment à se vouloir une puissance exclusivement commerciale, économique, civile ? Dernière victime – en perspective –, enfin : l’Alliance atlantique. La division des alliés, la valse-hésitation des principaux d’entre eux autour de son rôle dans la manœuvre militaire viennent s’ajouter à la confusion qui se profile face à l’enlisement des opérations afghanes… Décidément, 2011 risque, bien au-delà de la Méditerranée, de marquer la décennie.

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Ce numéro de Politique étrangère interroge encore l’avenir de l’UE autour d’une de ses politiques les plus emblématiques : la Politique agricole commune (PAC). Succès incontestable pour l’agriculture européenne dans son ensemble depuis plusieurs décennies, instrument décisif d’intégration, en particulier pour les derniers élargissements en Europe centrale, la PAC se retrouve au centre des discussions sur les budgets futurs, c’est-à-dire la politique à venir de l’UE, en un temps de doute général sur les voies et les finalités mêmes de la construction européenne. Le paradoxe étant que l’évolution internationale rend cette politique commune sans doute plus nécessaire que jamais. Certes, la PAC doit évoluer, s’adapter à des temps nouveaux, mais seule une politique européenne intégrée peut contribuer à répondre aux gigantesques défis qui s’annoncent : sécurité alimentaire de la planète, nécessité d’amortir l’effet des fluctuations des prix des matières premières, danger environnemental, etc.

Interventions internationales – Afghanistan, Liban, Côte d’Ivoire, Libye – ; institutions internationales – Organisation des Nations unies (ONU), UE – ; évolutions et dynamiques des conflits dix ans après le 11 septembre : avec ce numéro, Politique étrangère choisit de camper au cœur de débats qui ont toutes chances d’organiser la décennie qui s’ouvre.

 

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